Love addict ou la sexomanie de Koren Shadmi
Un trentenaire joue le rôle d’un néo-donjuan, pris dans l’engrenage de la conquête facile sur un site de rencontres. Un récit bien senti sur l’obsession du gland.
Ne pensez qu’à ça, du cul jusqu’à l’overdose, le grand plongeon. C’est avec humour que Koren Shadmi a décidé de traiter sa maladie. Love addict, confession d’un tombeur en série, est une histoire de drogue, toujours la même, la volupté d’un fantasme réalisé, de l’émerveillement jusqu’au dégout. Toujours plus pour retrouver le sel du début et lutter contre la désespérance des sensations qui s’usent dans la répétition. De rendez-vous en rendez-vous, le geste se mécanise, de coup de bite en coup de cul. Koren, alias K., trentenaire, cherche à oublier sa rupture difficile. En suivant les conseils de son colocataire, il s’inscrit sur un site de rencontres. C’est l’émulation d’une descente à deux, quand l’autre déjà accro, montre la pente. Sur le ton de la rigolade et sans cacher le plaisir que le dessin lui procure, Koren Shadmi reste subtilement superficiel, et tire de cette superficialité le plus beau spectacle de son addiction. Le vide qui reste après l’orgasme, l’éloquence des silences chez la psy. La thérapeute écoute sans rien dire, dubitative devant le choix binaire de son patient. Comme en actionnant un bouton, il faut soigner ses émotions, satisfaire le désir, prévenir le retour de l’angoisse. Consommation, surconsommation, déséquilibre, la fuite en avant accompagne la recherche du bonheur, un bonheur content pas content.
L’algorithme Don Juan
On rit, car il n’y a pas de drame, rien d’affreux, l’addiction s’arrête à hauteur de fantaisie, la dégringolade ne franchit jamais le glauque. On rit de ses textos qui introduisent chaque chapitre, en apostrophe des rendez vous qui s’enchainent. Les couleurs frémissent dans la tonalité de la chair et s’habillent d’une esthétique à la Betty Boop en cartoons stéréotypés. Intoxiqué, à son travail, K. transforme inconsciemment et graphiquement l’héroïne « Princesse Guerrière » en bombe cliché d’un comics pour adolescent. L’auteur ne s’épargne pas, les fantasmes dessinés trahissent autant que les situations. Le final convenu aboutit sur une résignation.
Pas de tragédie, l’enfer c’est le vide, quand l’accoutumance a gommé la sensation forte et se transforme en obsession. Crise de manque sans scandale, où se joue la jouissance de la liberté sexuelle, le jeu licite entre adultes consentants. D’accord pas d’accord, tu cliques, tu baises. Encore que, pas tout à fait, le jeu des rencontres aléatoires rend à chaque partenaire une identité propre, à chaque épisode, l’histoire d’une rencontre. Peu à peu, l’apprentissage des techniques et des subtilités permet de chasser plus efficacement, en triant, en codant dans la logique des mots clés et des algorithmes du site de rencontres «lovebug».
La pratique donne la maîtrise comme le succès sexuel gonfle l’estime de soi. K se croit Don Juan, quand il n’est qu’un avatar sur une plateforme numérique. Il est loin le séducteur de Mozart, Molière ou Kierkegaard, la figure de la perversion du Marquis de Sade : le libertinage n’est plus subversif mais maladif, une intoxication. Sur le tableau de chasse, la technologie archive et cible les conquêtes potentielles. Love addict, c’est un portrait en blagues d’un comportement très actuel, un scénario qui semble s’inspirer directement de la pensée des spermatozoïdes.
Lucie Servin
Love Addict, confessions d’un tombeur en série, Koren Shadmi, Ici Même, 25€, 224 pages