Pierre Christin, le père du journalisme en bande dessinée
La BD reportage est aujourd’hui un genre reconnu et consacré par le succès. Pierre Christin dans les années 70 initiait le réalisme en bande dessinée qu’il a porté à son apogée grâce au tracé virtuose et puissant d’Enki Bilal.
“A part Valérian, je ne parle dans mes bandes dessinées que de choses que je connais et d’endroits où j’ai été”, explique Pierre Christin. Dans les années 70, le grand scénariste offre à la BD une nouvelle dimension politique et réaliste, en proposant de véritables chroniques sociales. A cette époque, la bande dessinée s’émancipe d’abord par le dessin et de nombreuses revues présentent une nouvelle génération de dessinateurs offrant le réservoir exceptionnel d’une véritable révolution graphique. Pourtant, du point de vue des scénarios, la BD ne sort pas de ses cases enfermées dans des genres établis. Pierre Christin poursuit des études littéraires et envisage de devenir journaliste. Il commence à voyager et travaille en free lance.
Au début des années 70, il consacre sa thèse au fait divers, attiré par un genre très décrié et méprisé surtout par la presse marxiste. Pour lui, les faits divers sont les révélateurs d’un état de la société et fournissent le carburant romanesque pour alimenter ses histoires à commencer par “Cœurs sanglants et autres faits divers” où il explore avec Enki Bilal le point de vue du langage de la presse dans différents pays. “ Sans parler des journalistes en France à la solde du pouvoir, j’ai une grande estime pour les journalistes de terrain, les grands reporteurs, ou les journalistes d’investigation, ce sont de véritables héros modernes“, affirme-t-il. Il admire leur courage et notamment celui des femmes de plus en plus nombreuses. De 1988 à 2000, il participe à Bordeaux à la création d’une école de journalisme devenue très réputée aujourd’hui. Il prend sa retraite peu après.
Le Méta-journalisme
Avec les dessinateurs avec qui il collabore comme Tardi, Jean-Claude Mezières, Annie Goetzinger, entre autres mais surtout avec Enki Bilal, depuis Les légendes d’aujourd’hui jusqu’à Sarcophage, sur Tchernobyl en 2000, Pierre Christin développe une œuvre de fiction journalistique. Nombre de ses héros sont des journalistes car ils présentent comme les détectives cet avantage de pouvoir aller partout. On ne compte pas dans la BD classique le nombre de héros reporters. En revanche le travail de Christin se distingue par la méthode journalistique qu’il expérimente en amont pour la création de ses fictions. Comme pour un reportage, il voyage en dehors des sentiers battus, répugnant les lieux touristiques. Son premier voyage dans les pays de l’Est provoque le déclic à la fin des années 60. Il applique les méthodes d’investigation documentaire interrogeant, comparant, recoupant et vérifiant les données. Pierre Chjristin se décrit lui-même en “traine-patin” et déclare préférer les informations recueillies sur le terrain à la connaissance livresque. En toute modestie, s’il affirme n’avoir pas assez d’empathie pour faire de bonnes interviews, il explique surtout qu’il a choisi de devenir scénariste pour se laisser plus de liberté dans son rapport à la vérité. A la manière de Hitchcock, il recréé des univers vraisemblables et sans prétendre à la véracité journalistique, il qualifie son œuvre de méta-journalisme.
Lucie Servin
Indications bibliographiques:
Avec Tardi Rumeurs sur le Rouergue(1971), Les légendes d’aujourd’hui avec Enki Bilal: La Croisière des oubliés (1975), Le Vaisseau de pierre (1976), La Ville qui n’existait pas (1977), Les Phalanges de l’Ordre noir (1979), Partie de chasse (1983), Cœurs sanglants et autres faits divers (1988) puis dans la série les Correspondances de Pierre Christin, le T6, Le Sarcophage (2000). Avec Annie Goetzinger, La Demoiselle de la Légion d’Honneur (1980), La voyageuse de la petite ceinture(1985), Avec Jean-Claude Mézières, Lady Polaris (1987), avec Olivier Balez, Sous le ciel d’Atacama (2010)