Urgence Climat
Alarmant et catastrophique, au sens propre. Le nouvel album essai de Philippe Squarzoni, Saison brune, dresse le bilan de nos connaissances et des pronostiques à venir sur les conséquences du réchauffement climatique. Une lecture dense et pédagogique, absolument nécessaire.
“Dans le Montana il existe une cinquième saison, un moment suspendu entre l’hiver et le printemps entre le gel et le dégel, une saison brune intermédiaire où les glaces ont commencé à fondre mais où le printemps n’a pas encore affirmé sa présence” Quand tout n’est que boue, mélange interstitiel et indécis avant la renaissance d’un nouveau cycle, la “saison brune” sert de métaphore au nouvel album documentaire de Philippe Squarzoni. L’auteur de Zapata en temps de guerre et Guarnido en temps de paix finissait son essai politique Dol, sur le bilan du quinquennat de Jacques Chirac, lorsqu’il s’intéresse au réchauffement climatique. Comment commencer un livre, par quel bout aborder un problème de cette importance ? Il lui aura fallu cinq ans pour organiser son propos, forger son opinion et envisager des solutions. Cinq ans de questionnements, de recherches et de rencontres pour compiler les données scientifiques et comprendre tous les enjeux au niveau individuel et collectif. Confrontations rigoureuses de prévision et de contre propositions à l’appui, le dessinateur jongle dans un aller-retour permanent entre sa situation personnelle et celle de l’Humanité, ces millions d’humains menacés de devenir les futures victimes d’un changement inéluctable. Blaise Pascal écrivait : “nous souhaitons la vérité, et ne trouvons en nous qu’incertitude.” La complexité des réactions de la planète donne le vertige. Les marges d’erreur et d’inexactitude en fonction de l’interaction des nombreux paramètres rendent la climatologie et les sciences prévisionnelles incertaines et sujettes à discussion. Face au réchauffement climatique, les climatoseptiques jouent sur l’indémontrable réfutant pourtant un constat scientifique clairement posé : l’activité humaine depuis l’avènement de l’ère industrielle a conduit avec l’augmentation des émissions à gaz à effet de serre au réchauffement climatique. Le système terre et ses 4, 6 milliards d’années agissent en dehors du temps conscrit à une vie humaine, les effets à retardement ne menacent pas directement notre confort moderne mais présentent un danger pour les générations futures qui pâtiront d’ici 20 à30 ans de nos émissions actuelles. Dés lors, il faut agir maintenant, et maintenant c’est déjà trop tard. La fonte accélérée de l’Antarctique et du Groenland manifeste déjà les prémices de la catastrophe à venir, alors peut-on encore agir avant la crise ? Les échecs de la communauté internationale ne laissent guerre d’espoir. L’économie et les perspectives électoralistes à court terme des États sont strictement incompatibles avec une ambition internationale d’autolimitation et d’autorégulation. C’est pourtant le véritable enjeu de la mondialisation.
Un argumentaire dessiné
Crédibilité, implication et sincérité. Philippe Squarzoni se met en scène en intégrant dans son argumentaire construit et mesuré les six chapitres de son livre. Six parties dans lesquelles il expose les chiffres, les faits scientifiques avérés, les doutes et les hypothèses, interrogeant les experts sur la question, analysant ses propres habitudes. Toute action individuelle paraît si dérisoire devant l’urgence. La bande dessinée devient ici un formidable support de vulgarisation. Quand le dessin peut superposer au texte une métaphore, un graphisme, une photographie, les données scientifiques d’ordinaire si indigestes deviennent lisibles, la narration se dédouble entre la démonstration et l’engament. En rendant hommage à la terre et à la nature, la tension est palpable. L’image fait force d’argumentation dans l’élaboration de cet homo modernus constitué de tous les éléments indispensables à la vie moderne, du radiateur à la viande rouge, de la voiture à l’ordinateur. Par où amputer ? Comment agir contre la face joviale d’un père Noël Coca Cola porté en héros par la publicité mensongère de l’ultra consommation ? “Comment des sociétés organisées politiquement et économiquement pour produire plus et consommer plus, dont le développement repose sur l’exaspération du désir de possession pourraient-elles s’accorder avec une culture de la sobriété et de la responsabilité collective ?”commente Squarzoni. Constat défaitiste ou prise de conscience, ce cri d’alarme porte en lui une racine d’espoir. Contre les apprentis sorciers, la sagesse reste la seule alternative car comme disait Paul Valéry “Le temps du monde fini commence“. Mais lorsqu’on aperçoit le mur, l’aveuglement tragique de l’incertitude ne conduit-il pas à foncer dessus ?
Lucie Servin
Saison Brune, Philippe Squarzoni, Delcourt, 476 pages , 29,95 euros.
LE GIEC, CASSANDRE DES TEMPS MODERNES