Visite guidée sur le Pont des Arts
De la peinture à la littérature, du texte à l’image, Catherine Meurisse fait le pont en bande dessinée en orchestrant dans des saynètes truculentes les anecdotes célèbres des rapports parfois tumultueux entre peintres et écrivains.
La où les grands esprits se rencontrent. Au centre de Paris, le Pont des Arts allonge ses huit arches en fonte sur la Seine. Passerelle piétonne en bois, lieu de badinage et de flânerie, le pont relie depuis le début du XIXème siècle, l’Institut de France, siège de l’Académie française, et le Palais des arts tel qu’on appelait le musée du Louvre à l’époque. C’est depuis ce pont chanté par Georges Brassens que Catherine Meurisse, en caricaturiste rôdée de Charlie Hebdo brosse à grands traits les lubies célèbres, les correspondances intimes et les grandes amitiés entre ses peintres et ses écrivains préférés. L’auteure de Mes hommes de lettres n’en est pas à son coup d’essai. Avec son humour piquant et iconoclaste, elle arborait déjà fièrement son tableau de chasse de ses écrivains préférés du Moyen-âge à nos jours, comme une collection d’anciens amants. Dans Le Pont des Arts, elle met en scène neuf tableaux comme les neufs arches de l’ancien pont parisien, réduit à huit en 1852, à la suite de l’élargissement du quai de Conti. Neuf visites de faux initiés, la dessinatrice divertit la galerie recréant par le décalage comique un quotidien savoureux et trivial. “Petites histoires de grandes amitiés entre les arts”, une anthologie subjective et drôle sur la critique d’art. On assiste à une Masterclass dans l’intimité de Georges Sand et de Chopin, avec un Delacroix plus enclin à critiquer Ingres qu’à achever le portrait de ses amis. On ironise sur les jeux de regards, la myopie de Théophile Gautier, l’astygmatie du Greco, le strabisme de Rembrandt, la cataracte de Monet, la dégénérescence maculaire de Degas…. D’un crayon alerte, elle rehausse par les couleurs en aquarelle un propos délirant pourtant toujours servi par la réalité. En démontrant qu’on peut aussi rire de la culture académique, la fantaisie transparait dans les toiles qu’elle transforme et les citations qu’elle picore à la recherche d’un bon mot, d’un anachronisme saillant, d’une pirouette à la rescousse d’une situation burlesque.
La bande dessinée joue ce rôle de passerelle entre le texte et l’image et décline dans cet exercice de style cocasse, une familiarité joyeuse de ces grandes figures de la littérature et de l’histoire de l’art. En désacralisant les pontifes, elle rend un hommage plus sincère que la statuaire figée entretenue par le respect solennel dont on a paré ces grands hommes. Dans ce panthéon, il faut toujours qu’un Diderot ramène sa verve. Expression de concurrence déplacée qu’entretiennent des couples fascinant qui s’aiment ou se détestent. Loin d’un consensus, une histoire de goût comme cette visite guidée avec Baudelaire d’étage en étage qui nous apprend en toute subjectivité à distinguer un chef d’œuvre d’une croute, les paysans de Millet ravalé dans leur prétention en sabot. Grand théoricien de la critique d’art, Baudelaire expliquait lui même “pour être juste, c’est-à-dire pour avoir sa raison d’être, la critique doit être partiale, passionnée”. Catherine Meurisse joue de ces partis pris, de ces jugements péremptoires qui forgent les caractères. Anecdotes ancrées dans le présent, elle traduit prosaïquement ces égos torturés dans des croquis drôles et intelligents. A l’encontre d’une érudition pédante et allègrement battue en brèche, Le pont des arts sert de trait d’union entre la peinture et la littérature, dans une interprétation libre, partiale et réjouissante
Lucie Servin
Le Pont des arts, Catherine Meurisse, Sarbacane, 19,90€
LES MYSTÈRES DES CADENAS DE L’AMOUR
Depuis 2008, les amoureux ont pris l’habitude d’accrocher des cadenas aux grilles des parapets du Pont des Arts dans la capitale. Avec le manque de place, ces cadenas d’amour ont même tendance à coloniser aujourd’hui les autres ponts. Les cadenas ont pour- tant été enlevés à plusieurs reprises en 2010 et 2011 pendant la nuit, alors que les autorités démentent formellement être à l’origine du nettoyage. Les mystérieux vandales n’ont jamais été démasqués, geste vengeur d’un commando d’amoureux éconduits ou répression secrète d’une brigade pour la conservation de l’esthétique originelle de ce fameux pont, toutes les hypothèses restent ouvertes.