La mémoire retrouvée de Christine Brisset « l’insoumise »
La Fée des sans-logis, la Pasionaria des pauvres, la Madone des squatteurs, la Recordwoman des squattages, autant de surnoms dans la presse et pourtant, aujourd’hui, personne ne connaît Antoinette Brisset (1898-1993). Elle incarnait dans les années d’après-guerre la lutte contre la misère et le mal-logement, bien avant l’abbé Pierre. À partir d’un documentaire réalisé par Marie-José Jaubert, Chantal Montellier met en scène la vie de cette femme exemplaire, devenue Christine à la faveur d’un nom de plume, qui lutta toute sa vie sans posture politique ni religieuse, au nom de la seule compassion. L’artiste apprend, au détour d’une proposition de son éditeur, que Christine Brisset était la mère de son ami Jean-Michel Arnold, qui lui donne alors accès à ses archives, une véritable mine de documents variés, et lui parle de l’existence du documentaire. En visionnant la bande composée d’une longue interview, la dessinatrice se décide à mettre son regard dans les mots de Christine ; une Antoinette déjà âgée, dans son appartement parisien du 46 de la rue Vitruve, là où Chantal Montellier a vécu elle-même, quelques années après sa mort. Plus qu’une coïncidence, une rencontre avec une femme oubliée, héroïque dans son combat avec les sans-abri, qui a fini sa vie isolée dans cet immeuble à la façade ornée d’une salamandre, « cet animal qui résiste au feu », comme l’explique la dessinatrice, et qui sert de point de départ à cette reconstitution graphique. C’est que si Christine Brisset s’est montrée visionnaire dans sa conception du droit au logement et dans sa volonté d’action immédiate envers les familles, elle a aussi payé le prix fort pour la radicalité de ses positions.
La cible d’une campagne
Pour plus de 800 occupations, elle comparaît 49 fois au tribunal entre 1945 et 1962. Au lendemain de la guerre, pour pallier les destructions causées par les bombardements, soutenue par son ancien réseau de résistance et des personnalités comme le ministre de la Reconstruction, Eugène Claudius-Petit, ou le préfet du Maine-et-Loire, Jean Morin, elle se lance dans la reconstruction d’Angers. Elle crée alors l’association coopérative des Castors angevins et s’engage avec les familles dans la construction de cités entières en y incluant des bâtiments de loisirs ou de services. Visionnaire en matière d’urbanisme social, Christine dérange et devient la cible d’une campagne de diffamation, dont elle est blanchie bien des années plus tard. La caméra accompagne le discours que Chantal Montellier met en relief et en images mixtes d’aplats de couleur, montages de dessins et photographies retravaillées ; des planches et des doubles-pages qui ont valeur d’affiches et accrochent le regard au réel historique et symbolique. La dessinatrice tresse la narration avec autant d’éléments personnels, rendant ainsi hommage à la femme, et forgeant depuis l’enfance le caractère de cette « âme de feu que l’injustice mobilisait à tous les instants ».
Lucie Servin
Article paru dans le journal Humanité du 22 avril 2013
L’Insoumise, de Chantal Montellier et Marie-José Jaubert, d’après le film de Marie-José Jaubert On l’appelait Christine. Actes Sud-l’An 2, 136 pages, 21 euros.
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