Pravda ressuscitée, la fille est née
Après Quai d’Orsay, Christophe Blain en duo avec la chanteuse Barbara Carlotti rend hommage à la BD culte de Guy Peellaert, Pravda, la survireuse, en livrant un conte sonore et visuel intense, entre road trip sauvage et aventure psychédélique.
Tremblez bourgeois ! Juchée sur sa monture de fer, une crinière de feu scintille dans un nuage de poussière. Amazone solitaire et farouche, La Fille n’a qu’une seule attache, celle de son ceinturon Triumph, comme la marque de sa moto anglaise. Une femme-feu ivre d’indépendance que rien n’arrête, que rien ne soumet, pas même cette horde de bikeuses tueuses d’hommes dont elle finira par devenir la chef. Pour l’heure, accrochée à son guidon, elle s’envole, emportant avec elle un cowboy de quelques pouces qui grandit à mesure de leurs ébats passionnés.
Guy Peellaert et la révolution Pop
Peintre, plasticien, auteur de bandes dessinées et artiste touche à tout Guy Peellaert (1934-2008) réalise de nombreuses pochettes de disques et affiches de films. Il construit un univers graphique sixties et seventies, aux couleurs flashy et trempé sous acide d’où s’échappent autant de personnages épris de liberté. Débarqué de Bruxelles à Paris dans les années 1960, il collabore à Hara-Kiri et publie en 1966, une Jodellesous les traits de Sylvie Vartan puis en 1968, Pravda, la Survireuse sous ceux de Françoise Hardy ; un album érotique et psychédélique qui fait sonner le tonnerre de la liberté dans une esthétique pop art, totalement novatrice et parfaitement maitrisée. Cet album devenu culte constitue à l’époque un véritable météore graphique, faisant l’apologie d’une femme libre et libérée, tout à la fois scandaleuse, provocante et attirante.
Christophe Blain a choisi de lui rendre hommage. Mais si avant de mourir Peellaert avait lui même projeté de faire une suite à sa propre histoire, La Fille ne peut pas être considérée comme telle. Blain, tout en se réappropriant le récit et l’univers, remodèle sa Fille aux cheveux rouges à son goût s’inspirant de la silouhette de l’actrice Ali Mac Graw. Une nouvelle égérie qui traverse la narration comme un boulet de canon et dont la trace se perd dans l’horizon, laissant planté là, ce petit cowboy moustachu, aux allures de Gus ou de Blain lui-même, frappé par la foudre. Amoureux fou, ce dernier se lance à la poursuite de sa belle sans jamais parvenir à la rattraper. Le trait vif et expressif mis en relief par des couleurs pétantes laisse exploser le talent du dessinateur. Du vent, de la vitesse, du bruit, les planches s’animent d’une force rare dans le vrombissement des moteurs de cette équipée sauvage. Une véritable épopée psychédélique qui défile à tout allure mais qui, à l’image sans doute de son créateur, s’offre en miroir assagi de la Pravda de Peellaert.
Un conte sonore et intemporel
“L’amour est beau quand la femme se donne et que l’homme se perd.” Un CD accompagne la lecture du texte extrait en vis à vis des planches muettes aux couleurs vives, dans un décor de Western fantasmé entre Tarantino et Clint Eastwood, s’amusant des références à la Burt Reynolds ou encore Paul Newman et Robert Redford dans le mythique, Butch Cassidy and the Sundance Kid. L’Hallucination est d’ailleurs collective, et Blutch et Arthur H ont rejoint le trip en prêtant leur voix, tandis que Barbara Carlotti incarne la Fille et prolonge de ses chansons pop aux accents indus le rugissement graphique des planches.
Blain se projette quant à lui dans son alter ego moustachu tour à tour bottier, cascadeur, acteur ou encore libraire. La Fille n’est pas Pravda, elle surgit comme le fantasme de son créateur qui réécrit pour lui le mythe de l’amour, de la passion et de la quête d’une vie. L’essayiste Denis de Rougemont écrivait, “La passion est cette forme de l’amour qui refuse l’immédiat, fuit le prochain, veut la distance et l’invente au besoin, pour mieux se ressentir et s’exalter.” C’est l’histoire de cette course poursuite endiablée brièvement interrompue par une rencontre née du désir et qui repart de plus belle après la séparation et les adieux sans lendemain. C’est la métaphore de cette folle traversée du désert qu’est la vie dans la vallée de la mort, offrant fugacement collé contre le sexe d’une femme dans un short en cuir noir trop serré, les moments de délicieuse extase, de liberté totale, où la jouissance remémorée par le souvenir donne la pleine mesure de l’existence.
Lucie Servin
La Fille, Christophe Blain, Barbara Carlotti, Gallimard, 78 pages +un CD, 29,90 euros
-> Pour découvrir les planches de Christophe Blain, une exposition à la galerie Barbier Mathon à Paris du 26 avril au 22 mai : Renseignement sur le site
La Fille, par Christophe Blain et Barbara Carlotti von bdgallimard