A la rencontre d’Eddy Table, en introduction à l’art de Dave Cooper

A la rencontre d’Eddy Table, en introduction à l’art de Dave Cooper

->Un article publié dans l’humanité du 27 avril 2017

affiche du filmAvec l’impressionnante installation Bastokalypse des artistes suisses M.S. Bastian & Isabelle L. présentée à la Fondation Vasarely et pour la première fois en France jusqu’au 20 mai, l’exposition et la venue de Dave Cooper ont marqué les Rencontres du 9ème art d’Aix-en-Provence cette année. Trop rarement montré en France, le travail de l’artiste underground canadien est à l’honneur de la Cité du livre jusqu’au 27 mai.

« Réservé à un public averti » peut-on lire à l’entrée de l’exposition installée à la Cité du livre, avant de pénétrer dans la forêt mystérieuse des amours effrayantes de Dave Cooper, et d’assister à la projection de son dernier court métrage, multi primé, The Absence of Eddy Table, à l’occasion de sa sortie en France. Dirigé par le norvégien Rune Spaans, sur une musique de Kaada, on embarque dans un conte muet à la Tim Burton, où chaque détail a été techniquement soigné pour conjuguer l’histoire d’amour et le récit d’horreur. Dans cette « love monster story » douze minutes concentrent l’univers formel et poétique, à la fois enchanté et effrayant de cet artiste hors norme. Que le non initié se rassure, il n’y a rien de pornographique dans cet espace, qui introduit avec intelligence à l’art d’un maître incontesté de l’underground, digne héritier de Robert Crumb, qui compte parmi ses admirateurs Guillermo del Toro ou David Cronenberg. Si l’art de Dave Cooper dérange, c’est surtout qu’il retraverse toujours avec le regard de l’enfance les désirs inavoués et les peurs les plus enfouies de son cerveau d’adulte. Ce cheminement désoriente et bouscule l’imaginaire du spectateur attiré par les formes grotesques et les couleurs pop acidulées, pour se confronter à la sensualité des monstres et de l’exhibition charnelle.

« La beauté est dans le regard de celui qui regarde. explique l’artiste. J’ai toujours aimé dessiner une blatte par exemple, alors que beaucoup trouvent ça dégoûtant. J’ai aussi un goût pour les courbes que je décline en représentant les végétaux ou les cambrures des veilles voitures des années 1940, de même que la rondeur des femmes fortes me fascine plastiquement. J’ai forgé mon esthétique sur ces critères, en jouant sur les transformations, les ambiguïtés et les contradictions. J’aime surtout représenter la vie, créer de l’émotion sur mon public, en restant persuadé que l’inconfort du malaise excite, quand à l’inverse, tout ce qui est trop lisse m’ennuie ».

eddie

Dave Cooper a choisi sa vocation à l’âge de 6 ans, en rencontrant le grand Tomi Ungerer (auteur entre autres des Trois brigands) exilé au Canada et devenu un ami de son père. Même s’il ne l’a jamais revu ensuite, Dave rêve aujourd’hui de pouvoir échanger avec lui.

«  J’ai commencé en travaillant dans le milieu des comics, pendant quinze ans, j’y ai fait mes armes, trouvé mon vocabulaire, perfectionné mes techniques. J’y ai aussi sondé ce qu’il y avait de plus intime en moi mais après Ripple, ma dernière histoire, il m’a semblé que je ne ferai pas mieux. J’ai donc exploré la peinture, avant de travailler dans l’animation à partir de 2008 en collaborant à la série Futurama ou encore en réalisant des clips musicaux. Dernièrement je me suis lancé dans des séries pour enfants, Pig Goat Banana Cricket avec Johnny Ryan en 2015, et The Bagel and Becky Show en 2016 ».

Ripple

Apparu dans la série Weasel, à partir de 1999, le personnage d’Eddy Table est d’abord une projection de l’auteur, un alter ego dont il se servait pour raconter ses rêves, pour plonger dans l’intime en scrutant l’œil de son propre cyclone car « eddy », signifie « tourbillon » en anglais. Avec Eddy Table, il conservait aussi la distance du second degré puisque ce nom est construit sur le jeu de mot « editable » qui signifie « qui peut être édité » mais aussi «modifié » (dans le sens d’un fichier d’ordinateur). Le personnage d’Eddy est resté et lorsque son fils est né, il y a projeté une forme d’innocence, pour transformer sa mascotte en cet être candide, influençable, aux grands yeux ébahis et amoureusement ouverts sur un monde angoissant prêt à le dévorer tout cru. C’est bien le même Eddy qu’on retrouve dans le film, parti en bivouac dans cette clairière ensoleillée, alors que des insectes s’intéressent à son sandwich et que son attention est détournée par le rire de trois nymphes, aux formes épanouies, attaquées par des bestioles rampantes dont émerge une petite fille, aussi charmante que terrifiante. Le coup de foudre entraîne le petit garçon au cœur de la forêt et de la force matricielle immonde. En funambule, Dave Cooper évolue en équilibre instable, du mignon au repoussant, du merveilleux à l’angoisse.

L’espace autour de l’écran prolonge le film à travers des croquis, des planches, des peintures ou même des jouets. Même s’il ne s’agit que de reproductions, car l’artiste a pris l’habitude de ne rien garder, le spectateur se passionne pour cette présentation ludique qui recompose la cohérence d’une création dispersée. Un seul regret : malgré la qualité des fac-similés en grand format et les effets d’éclairage, la reproduction des toiles qui s’imprègnent des silhouettes de Rubens transformées à la sauce abstraite des taches de Klimt, perdent en luminosité par rapport aux huiles originales. De plus, bien que central, le personnage d’Eddy Table n’englobe pas toute une œuvre protéiforme en bande dessinée qui traite parfois par des voies moins métaphoriques de sujets plus difficiles. Il n’empêche que cette exposition constitue une des meilleures introductions à l’œuvre de cet artiste trop injustement méconnu en France, malgré quelques fans avertis.

Lucie Servin

Plus de renseignement:

Exposition Dave Cooper, Jusqu’au 27 mai.
Cité du livre, Galerie Zola, 8-10, rue des Allumettes, Aix-en-Provence
Du mardi au samedi de 10 heures à 18 h 30. Entrée gratuite.

Le site du festival : www.bd-aix.com

Le site de l’artiste http://www.davegraphics.com/

Dave Cooper répond à l’appel de la Charte de la Terre lancé par le collectif Hey !

hey-4-degrees-artHey ! est un collectif d’artistes, réunis autour d’expositions, de performances et d’une revue trimestrielle dirigée par Anne et Julien, journalistes et artistes eux-mêmes, qui répondent à un seul credo : « la mixité par le rassemblement et la résistance par l’imaginaire ». Sur la planète Hey !, de l’art singulier à l’art outsider, chacun assume son individualité à travers une approche figurative dans l’art contemporain. Dernièrement, à travers un hors-série intitulé 4 degrees art, le collectif s’engage sur les questions écologiques en invitant les artistes à répondre du réchauffement climatique et des conséquences des « 4 degrés de plus », promis par les scientifiques du GIEC. La Charte de la Terre (1) sert de point de départ à la réflexion. Ce texte élaboré à partir de la fin des années 1980, à la suite de La Charte mondiale de la nature proclamée à l’ONU en 1982 réaffirme l’importance de la protection de la nature et des écosystèmes en définissant les modalités politiques, économiques et sociales du développement durable. Il est aussi fondamentale que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en ce qu’il énonce les droits fondamentaux de la planète fondés sur des principes de paix, de respect du vivant, de justice sociale et d’économie solidaire. Parmi les premiers à rejoindre la planète Hey !, Dave Cooper signait la couverture du numéro 2 de la revue trimestrielle paru en 2010. Il fait ainsi partie de la centaine d’artistes originaires de 20 pays différents qui ont répondu à l’appel de la terre, en réaffirmant son attachement à la nature, qui l’a toujours inspiré. Il écrit dans ce hors-série publié en octobre dernier  ; «  Vivre dans une culture de paix, c’est faire le choix de sourire aux gens lorsqu’ils ont fait une erreur, de les aider à se relever lorsqu’ils sont tombés. » Une empathie essentielle pour comprendre son œuvre.

Hors-Série, Hey! 4 DEGREES ART Editions Ankama Label 619, 224 pages, 39,90 €

(1) Lire la Charte de la terre