Typex invite Andy aux Rencontres du 9ème art d’ Aix-en-Provence
Depuis plus de 15 ans, Les rencontres du 9ème Art à Aix-en-Provence se sont toujours illustrées par une programmation de qualité, en dehors des sentiers battus, autour de projets et de créations originales qui ont fait leur réputation. Pour cette 16ème édition, la restructuration d’Aix-Marseille Métropole a réduit les budgets du festival et obligé l’équipe à repenser la formule, en amputant le salon qui marquait le temps fort de l’événement et qui participait également à son rayonnement. Le directeur artistique Serge Darpeix a préféré ancrer son festival sur le territoire, et conserver un calendrier d’événements et d’expositions sur deux mois, plutôt que de concentrer l’événement sur un weekend. Un choix courageux, qu’il convient de saluer et qui préserve du même coup l’esprit d’indépendance qui souffle sur ces rencontres, bastions d’irréductibles, toujours engagés contre vents et marées auprès du public et des artistes.
Expos à voir
Parmi les expositions ouvertes jusqu’au 25 mai. Les immanquables : Americana à l’Office du tourisme, offre une virée dans le Farwest d’Hugues Migol. Les paysages grotesques des extraordinaires aquarelles du recueil Whisky (Cornelius) éclairent l’encre noir de son album Scalp (Futuropolis) déclinée en lithographie et en céramique. En trait d’union, les variations autour d’un livreur de Pizza du recueil Providence (Cornelius) tend le miroir à l’Amérique contemporaine.
Plus loin, au musée des Tapisseries, Caroline Sury s’approprie les voûtes du palais archiépiscopal. En quelques dispositifs, l’artiste parvient à faire pénétrer son visiteur dans les dédales intimes de son univers mental. Le sien ou celui de Mademoiselle Latarte, l’héroïne de son dernier album, édité au Monte en l’air, qui touche le fond du moule accrochée à la trompe de son Psycho Jumbo.
Les Facéties d’Eric Lambé à l’atelier Cézanne lancent un appel surréaliste dédicacé à Magritte, pour une révolution pomme-carotte qui devrait trouver un certain écho à la Galerie Vincent Bercker, où les artistes de comptoir, réunis autour de Laurent Lolmède, ont proclamé leur manifeste du sous-bockisme et l’ivresse artistique.
Le chahut continue à la Bibliothèque Méjanes, où le Haircut football club a installé un salon de coiffure sauvage dans lequel les dessinateurs retaillent la coupe des footballers, à grand coup de jeux de mots et de parodies, en défigurant les vignettes mythiques des albums panini.
Mais le temps fort de cette année, c’est sans aucun doute la grande exposition autour du Andy de Typex (Casterman) à la Cité du Livre, mise en scène à partir de ce roman graphique ahurissant, en chorégraphie musicale, chef d’œuvre de démonstration et d’appropriation, réalisé par le dessinateur hollandais sur Andy Warhol. La scénographie a gardé cet esprit, évoquant à la fois les Factories de Warhol et ses expositions performances, mais surtout la fresque dansante imaginée par Typex dans sa bande dessinée en jouant des échelles et des agrandissements, pour magnifier dans l’espace les courbes de ses crayonnés élastiques. Cette présentation reste sans doute une des meilleures manières d’aborder ce livre exigent : une BD qu’on ne lira pas d’une traite, mais qu’on relira obstinément.
Andy’s Typex, un monument pop
Il faut considérer modestement ce Andy de Typex comme une contribution majeure non seulement à la bande dessinée mais plus généralement à l’histoire de l’art. En s’attaquant à la vie du Pope of the Pop, Typex a réalisé un exploit, « un conte de faits » : une somme monumentale dans laquelle il fouille à travers l’artiste ses propres références. Si ce livre ambitieux interpelle non seulement l’histoire culturelle américaine et occidentale, il questionne surtout la place de l’art et de l’artiste dans la société, celle d’Andy, celle de Typex. Seule la bande dessinée pouvait télescoper toutes les facettes d’un personnage, ce qu’il est et ce qu’il inspire, acteur et reflet de toutes les époques qu’il a traversées.
Andy Warhol disait : « Gagner de l’argent est un art, travailler est un art et faire de bonnes affaires est le plus bel art qui soit ». Epicentre de la culture pop américaine de la deuxième moitié du XXème siècle, il a travaillé toute sa vie à façonner son image en œuvre d’art et en produit marketing. Informations, anecdotes et témoignages ne manquent pas autour de cette personnalité complexe qui n’a eu de cesse de se raconter lui-même. Typex s’est lancé dans « son Andy », après s’être fait la main sur Rembrandt, dans une biographie fascinante commandée par le Rijksmuseum à Amsterdam. Il choisit cette fois l’artiste en miroir d’une époque dont il se sent lui-même le produit, en confrontant les esthétiques qu’il aime aux outrances de la réalité.
Force est toutefois de reconnaître que même si le dessinateur a mis le paquet, il faut avoir envie de s’attaquer à ce pavé d’1,5 kilos, dont la maquette imite les barils de lessive imaginés par Warhol en même temps que les boites de soupe ou le ketchup. Dix livres en un! Un frénétique ballet compilé sur plus de 550 pages. L’attention portée aux détails, à la sensualité, aux univers graphiques et sonores, oblige à prendre le temps d’approfondir les références, à savourer le travail de faussaire associé à l’esthétique de chaque période, à sentir le souffle et la noirceur, à saisir les contrastes, à trancher les clairs-obscurs.
Pendant cinq ans, Typex a creusé dans une documentation illimitée poussant ses repérages aux Etats Unis jusqu’à rencontrer le neveu de Warhol. Affranchi des gloses historiographiques, cet hommage en série de portraits démultipliés s’envole sans tabou et effeuille les facettes d’un Andy passé au filtre des temporalités graphiques, variant les éclairages sur l’agitation mondaine et sur une solitude intime pétrie d’angoisses et d’obsessions.
Dans l’esprit de la Factory, cet atelier mythique qui, à partir de 1964, de déménagement en déménagement, a accueilli toutes les expériences artistiques de Warhol, Typex projette à Aix son propre laboratoire dans un tourbillon pop hallucinant.
Lucie Servin
Andy. Un conte de faits, Typex. Casterman, 562 p., 35 €.
le programme sur http://www.bd-aix.com
Quelques rendez-vous immanquables:
Le vendredi 3 mai avec Mazen Kerbaj à 18h30 au Café Culturel Citoyen le 3C. L’artiste libanais sort un recueil de strips Politique chez(Actes Sud) ->
Pour les enfants, le samedi 4 mai à 15 h à la Cité du livre, Philippe Lechermeier et Gaëtan Dorémus racontent dans une lecture dessinée la genèse des irrésistibles aventures de Till L’Espiègle, (Les Fourmis rouges)
Le 11 mai la « Haircut Football Club Party » de 14h à 19h dans la cour carrée de la Bibliothèque Méjanes – Cour Carrée, avec des matchs de dessins et plus d’une quinzaine d’auteurs invités. La « Chevaline », une ancienne remorque à cheval transformée en librairie s’installe pour l’occasion.