Adieu Maître Toppi
Le monde de la bande dessinée en deuil à l’annonce de la mort d’un géant. Sergio Toppi n’est plus, emporté à 79 ans des suites d’un cancer foudroyant. Comptant parmi les plus grands de la bande dessinée italienne, le grand génie milanais, ami de Dino Battaglia, nous a quitté hier. Réveil difficile, comme une gueule de bois douloureuse provoquée par ce décès qui frappe au cœur. Mais la mort rappelle toujours de son coup de faux vicelard que des œuvres ou de l’homme, seules les œuvres sont immortelles. La modestie et la discrétion du dessinateur n’ont d’égal que son talent à mettre en scène des images foisonnant dans un monde merveilleux que l’artiste enchantait à la plume et entrelaçait de poésie.
Ce style inimitable révèle un travail d’orfèvre et donne la mesure d’une œuvre immense et illuminée qui continuera d’inspirer les générations futures.
Sergio Toppi la plume du merveilleux
-> Un article publié le 7 juin 2012 dans le numéro 20 du magazine BDSphère
Grand maître de la bande dessinée italienne, Sergio Toppi a su inventer un style puissant et inimitable. Un dessin qui donne les clés d’un imaginaire enchanté.
Entrer dans l’univers de Toppi, c’est comme lire les formes dans les nuages, imaginer un visage dans une montagne, chercher entre les lignes d’un dessin somptueux les détails cachés ou inconscients laissés comme des indices d’un imaginaire bien réel. A 80 ans, le dessinateur milanais compte parmi les plus grands maîtres de la bande dessinée italienne. Moins connu qu’un Hugo Pratt, de la génération d’un Guido Crepax, Toppi a commencé sa carrière dans les studios d’animation des frères Pagot, les créateurs du célèbre Calimero. Illustrateur et auteur, protégé de Dino Battaglia dont il était devenu l’ami, Toppi collabore dans les plus grandes revues italiennes, Sergent Kirt, Corto Maltese, Linus ou encore Alter Alter et se démarque peu à peu par un style unique directement identifiable.
En 1979, il recueille l’unanimité de la critique lors de la publication de son album Sharaz-de, publié dans la revue Alter Alter. Composé d’histoires courtes contées à chaque nuit par la douce Sharaz-de, qui joue sa vie à chaque aube nouvelle. Comme un récit à tiroir, ces contes empruntent aux Milles et Une nuit mis en scène par des graphismes saisissants et orientalisants. Toppi livre ici une leçon de poésie et de technique alternant narration en noir et blanc ou en couleur directe. Le dessinateur surprend par la précision de ses traits hachurés qui empruntent à la gravure, révélant une virtuosité dans l’entrelacement des motifs et la profondeur sculpturale de son dessin. Le lecteur plonge dans un monde à la fois onirique et réaliste guidé par la composition des planches proprement spectaculaire. Les cadrages et les découpages dynamiques sont toujours ponctués par des phylactères ronds qui posent le texte en accord avec les formes de l’ensemble de la page. D’ailleurs Toppi ne se prive pas de pulvériser ses cases pour construire des agencements majestueux. Des totems fourmillant de détails nourris de références inspirés à partir des mythes et de ses interprétations. Dans sa maîtrise des tracés et des contrastes, Toppi s’impose à l’œil révélant son savoir faire majestueux.
Un collectionneur
Impressionnant, Toppi n’en est pas moins maître conteur. Préférant les histoires courtes, il tisse ses aventures en empruntant aux mythes de tous les coins du monde. Embarquant le lecteur sur les rives du merveilleux et du fantastique, ses contes s’ancrent profondément dans le réel, révélant un pessimisme qui jongle de distorsions et singe avec cynisme notre société contemporaine. A l’image du collectionneur le héros mi dandy mi bandit de son unique série, lorsqu’il explique “Je ne collectionne que des objets qui revêtent pour moi une signification particulière, des objets qui ont “vécu”, protagonistes d’histoires que moi seul connais grâce à mes recherches, une fois que je lai obtenus, je me les réserve, plus personne ne les verra”. Toppi collectionneur d’histoires nous ouvre au contraire les portes du regard, délivrant par son dessin un univers magique et enchanté.
Il était une fois Krull et autres récits
Les éditions Mosquito ont entrepris depuis 1997 de traduire les œuvres de Sergio Toppi dans des albums d’une qualité exemplaire qui proposent des œuvres inédites ou des rééditions des planches parues dans les revues italiennes. (Des albums à découvrir sur le site consacré par l’éditeur) L’éditeur a choisi de compiler dans certains albums des histoires autour de thématiques. Dans Krull, l’album regroupe cinq contes publiés entre 1982 et 1997qui revisitent l’univers merveilleux des légendes germaniques. L’atmosphère sombre sert une ironie grinçante et l’humour donne le contre-pied de ses fables tristes.
Lucie Servin
Pour en savoir plus, Toppi : Une monographie, par Michel Jans, avec la collaboration de Jean-Louis Roux, Nicolas Rouvière, Fabrizio Lo Bianco, Pierre Yves Lador et Gilles Ratier, Mosquito, 160 pages, 18,00 euros
Extraits de Sharaz-de, un chef d’oeuvre