Baru, le porte-crayon des gosses de prolos, grand prix d’Angoulême
Blouson noir de rigueur pour celui qui aurait volontiers choisi la voie d’un chanteur de rock s’il n’avait pas été rattrapé par le dessin. Provocateur et engagé, Hervé Baruléa a déjà été récompensé trois fois au festival d’Angoulême au cours de sa carrière. A 62 ans, il rejoint presque naturellement le cercle académique des lauréats consacrés par le grand prix de la ville,qui récompense chaque année un auteur pour son œuvre, désigné pour présider le jury du festival l’année suivante. Après Blutch, l’honneur revient à celui qui donne à voir la réalité sociale et humaine des quartiers populaires. Une réalité qui a marqué son enfance et le passé de sa région d’origine, le bassin minier lorrain entrainé dans la crise de la sidérurgie à partir des années 70.
A la mort de son père Baru prend conscience de la nécessité de rendre compte d’une générations oubliée et ignorée. Dessinateur autodidacte, aîné de trois garçons dans un famille d’ouvriers communistes, d’une mère d’origine bretonne et d’un père italien, on doit à l’audace de Reiser, et aux autres dessinateurs de Hara Kiri et de Charlie Hebdo dans le début des années 70, la conversion de ce prof de gym à la bande dessinée. Pétri par l’héritage de 1968, chantre libertaire revendiqué des prolos et de la « trahison de la classe populaire », il publie à 35 ans, son premier album, « Quéquette Blues », qui dresse le portrait d’une bande de jeunes gars, obnubilés par le sexe, sur fond de flippers, de bals et de rock’n’roll dans les cités ouvrières de Villerupt, en Lorraine. « Quéquette Blues » fixe les éléments du décor et de l’univers de Baru, le peintre de la jeunesse des cités, l’observateur sociologue de l’adolescence, fan de rock et portraitiste de la déjante. Baru explore les thèmes qu’il veut mettre en avant, les fermetures d’usines, la guerre d’Algérie, le chômage, la rage, le racisme, la faillite de l’électorat communiste et la montée du Front National. Les volontés brisées de ces jeunes en galère, prêts à tout pour réussir, écrasés par la cruauté et l’injustice de l’existence.
Sexe, drogue et Rock’n’roll
Dessinateur de l’action, de la fuite, le mouvement du trait et le scénario accentuent l’ironie et l’amertume d’une critique sociale sans concession où l’auteur ne s’embarrasse pas des tabous. Sexe, drogue et Rock’n’roll : Baru montre la culture de la transgression, en déclinant ses histoires au fil des générations, empruntant à son vécu pour mettre en scène des situations choisies et probables. L’auteur puise ainsi dans la réalité et souligne les liens historique pour satisfaire son besoin de mémoire. Le résultat sonne vrai dans les expressions et les dégaines des personnages désabusés ou enragés. Un témoignage libre offert comme un appel à la tolérance, au respect, à la reconnaissance, et à la dignité des familles, avec l’humain et l’humour pour seule esthétique.
Les Années Spoutnik
D’un coup de crayon nerveux, Baru conserve la pudeur et va à l’essentiel, offrant la vision brute des germes de la violence, de la rébellion. Un tableau collectif des enfants de la classe ouvrières, d’une jeunesse affamée, désillusionnée et dissipée, à la recherche de la jouissance immédiate, de l’argent, mettant en avant le canalisateur d’énergie que représentent la musique et le sport, en faisant du rock et de la box, ses thèmes de prédilections. En conteur du réel, Baru décrit à travers les générations, l’histoire des siens, la destruction des utopies depuis la tétralogie des « Années Spoutnik » jusqu’au grand «désenchantement du monde » et la destructions des liens solidaires. Une histoire qui se répète au fil des décennies où la solidarité ressurgit en petites notes d’espoir à travers les valeurs humaines intemporelles, comme le partage, l’entraide et les sentiments : les seules armes qui restent pour lutter face aux drames du quotidien.
Lucie Servin
Extraits Bibliographiques :
– Quéquette blues, Dargaud, 1984 (prix d’Angoulême)
– La Piscine de Micheville, Dargaud, 1985
– Cours, camarade!, Albin Michel, 1988
-L’Autoroute du soleil, Casterman, 1991(prix du meilleur album d’Angoulême en 1996)
– Le Chemin de l’Amérique, scénario de Jean-Marc Thévenet, Albin Michel, 1990(prix du meilleur album d’Angoulême 1991)
– Sur la route encore, Casterman, 1997
– Bonne année, Casterman, 1998
– Les Années Spoutnik, Casterman, Le Pénalty, 1999, C’est moi le chef!, 2000, Bip bip !, 2002, Boncornards Têtes-de-lard !, 2003
-L’Enragé, coll. Aire Libre, Dupuis Tome 1, 2004 Tome 2, 2006
– Pauvres Zhéros, adaptation et scénario de Pierre Pelot, Rivages/Casterman/Noir, 2008 – – Actuellement, Baru travaille sur l’immigration italienne, « Bella Ciao », album publié chez Futuropolis, sortie prévue à la fin de l’année 2010. – à voir le documentaire de Jean-Luc Muller intitulé « Génération Baru », projeté lors du Festival.