Des Reines en chemin pour la liberté
-> Un article du calamar noir pour Cases d’histoire
Savoie 1920. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le voyage de deux veuves, Blanca et sa belle-fille Pauline, raconté par la voix-off de l’orphelin qui les accompagne. Anthony Pastor s’approprie l’histoire dans un récit graphiquement magistral, en hommage à celles qui les premières, ont emprunté les voies de l’émancipation.
« Cette aventure ne s’inspire pas de faits réels, mais j’ai tenté de l’inscrire au mieux dans la réalité d’une époque. » explique Anthony Pastor, pour introduire le dossier qui rassemble à la fin du Sentier des reines, toutes les sources documentaires et bibliographiques qui ont servi à articuler son scénario. Tout concoure à la réussite de cette reconstitution historique saisissante, mise en scène dans une intrigue rocambolesque. En Savoie, l’auteur plonge au cœur des traditions de colportages, de ces hommes qui crapahutaient dans toute la montagne en portant sur le dos, de village en village, les lourdes balles remplies de marchandises. En 1920, le monde a changé. Les hommes qui ne sont pas morts à la guerre, rentrent estropiés, et ceux qui sont valides, semblent pareils aux autres, des fantômes. Les séquelles invisibles laissent à l’écart les poilus traumatisés par l’horreur des tranchées.
La rupture a été brutale, elle a changé les hommes, mais aussi les femmes, réduites dans l’inquiétude et l’attente à faire face à la nécessité. Epargné par la guerre, le mari de Blanca meurt quelques mois plus tard dans une avalanche, avec son fils et les parents d’un orphelin que la veuve recueille, Florentin, le narrateur de l’histoire. Blanca décide de partir, elle fera ce que faisaient les hommes, emmenant l’orphelin et sa belle-fille, la jeune et séduisante Pauline, veuve comme elle. Couronnées de leurs coiffes « frontières», ainsi nommées dans l’habit régional, les reines empruntent les sentiers semés d’embûches pour leur émancipation.
Un extraordinaire périple graphique
Le Sentier des reines se lit d’abord pour le plaisir des yeux, les ambiances changeantes au gré des décors, s’ajustent à une mise en scène dynamique, propulsée par des cadrages percutants. Le lecteur ne pourra résister à la magie des paysages.
La petite troupe cherche à échapper à un mystérieux poilu, Félix Arpin, qui s’en prend à eux. Les décors ralentissent le récit d’une cavale, qui conduit le trio depuis la Savoie jusqu’en Normandie. L’épopée défile et ajuste les scènes aux tonalités chromatiques. Le trait tout en hachures fouille les détails réalistes jusque dans les visages expressifs des personnages, marqués des cicatrices de la vie. Le blanc glacial de la neige se transfigure du turquoise de l’eau, éblouissant les pages, ou vibrant dans les lumières d’un couché de soleil. En alternance, la nuit et les planches d’intérieurs plus sombres, s’éclairent en clair-obscur.
Les voies de l’émancipation
Par rapport à Las Rosas, Castilla Drive et Bonbons atomiques, Anthony Pastor semble transposer dans un nouveau registre l’esprit de ses anciennes héroïnes. En s’appuyant sur le fond historique du réel et en parallèle de la trame romanesque, un fil symbolique se tisse en hommage aux femmes courageuses et émancipées par la guerre qui ont du faire face pour survivre, en affrontant une société hostile à leur émancipation.
Blanca, la blanche, sert de figure forte, une résistante qui montre l’exemple, un guide pour les jeunes abandonnés. On suit son initiation avec ceux qui la suivent, au gré d’un périple jalonné par les voix pionnières du féminisme comme Madeleine Pelletier et Hélène Brion. Le Grand large appelle les âmes libres dans une fin ouverte sur de nouveaux horizons.
Lucie Servin
Le Sentier des reines d’Anthony Pastor – Casterman, 128 pages, 20 euros.
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