Entretien avec Guillaume Trouillard, le dessinateur de La Saison des Flèches

Entretien avec Guillaume Trouillard, le dessinateur de La Saison des Flèches

MINOLTA DIGITAL CAMERAJeune éditeur et auteur d’un premier album remarqué, Colibri , paru en 2007, Guillaume Trouillard revient sur la collaboration avec son ami, Samuel Stento pour La Saison des Flèches, sortie en 2009. La Bande dessinée a été sélectionnée pour le Festival d’Angoulême cette année.

Comment peut-on avoir l’idée de mettre les indiens en conserves?

GUILLAUME TROUILLARD : Au départ, c’est une idée de Samuel. La Saison des flèches est une histoire qu’il a inventée il y a longtemps et qu’on avait décidée de mettre en images dans un projet commun. Samuel Stento est mon ami des Beaux Arts d’Angoulême. saisoncouvOn s’est rencontré autour du dessin, j’ai continué de travailler dans cette voie. Lui, il a évolué vers la sculpture et l’écriture. Il monte également les expositions et toutes formes de scénographies. On a tous les deux, un côté baroque, pictural, absurde, où l’image se charge du récit de l’imaginaire. Samuel s’est concentré sur l’écrit, c’est une sorte d’esthète de la blague, il se tuerait pour un bon mot, avec un humour noir à la Desproges.

-Comment avez vous travaillé ?

GUILLAUME TROUILLARD : Samuel et moi, on se connait mieux que personne. Les rapports sont simples et la collaboration naturelle. Je sais où sont ses points forts et ses points faibles, et lui les miens. Je connais sa façon de faire, ses procédés, ses recherches autour de l’écriture mécanique, son imagination surréaliste, ses gouts et son penchant pour l’esthétique des mots et les logiques de l’absurde. La collaboration est d’autant plus facile qu’on connait les méthodes de travail de l’autre. Dans son scénario, il m’a laissé des pages entières à créer. En même temps, on est très différents. Je suis beaucoup plus sombre, plus politisé. Je suis un militant et il me faut du sens et du fond. Dans Colibri, j’avais choisi d’écrire un récit libre en trame ouverte sur une année, en laissant beaucoup de place à l’improvisation et en introduisant, dans la narration, mes rêves ou mes préoccupations du moment. Samuel, lui, est davantage dans le registre de l’humour, il aime les choses très écrites et les non-sens. La Saison des Flèches est le fruit de beaux compromis et du respect de nos libertés à tous les deux. Mais je pense que ce sera une collaboration unique, je suis trop indépendant et j’ai mes propres histoires à raconter!

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Depuis quand préparez-vous « La Saison des Flèches » ?

GUILLAUME TROUILLARD : Il y a eu de nombreuses versions avant cet album final mais j’avais commencé avant Colibri. Au départ, on était une petite bande de promo, avec Samuel et d’autres. Un groupe de copains artistes à faire des choses très différentes. On est parti du constat que c’était difficile de trouver un éditeur qui laisse sa chance à de jeunes débutants. Du coup, il y a six ans, je me suis improvisé moi même éditeur, en fondant « Les Éditions de la Cerise » . Ça a commencé autour de la revue  Clafoutis à laquelle Samuel contribuait, bien entendu. C’était pas du tout professionnel comme structure. On s’amusait beaucoup, et on prenait beaucoup de plaisir, comme dans une sorte de laboratoire expérimental. On explorait sans limites les techniques de notre médium, la bande dessinée. {Clafoutis} est une sorte de manifeste. On y a fait nos armes, conduit nos recherches en travaillant seul ou à plusieurs sur des formats de deux pages, ce qui nous obligeait également à condenser nos histoires et à partager avec chacun d’entre nous. Depuis, la Cerise se développe, on a beaucoup appris et on arrive à faire ce qu’on aime.

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Dans « Colibri », vous avez raconté vos pérégrinations en Chine. Pour « la Saison des Flèches », êtes-vous allé en Amérique?

GUILLAUME TROUILLARD : J’ai une fascination pour les amérindiens et leur culture mais je n’ai jamais eu encore la chance de voyager sur le continent américain. Dans l’idée de Samuel, c’est plutôt le côté absurde, le décalage avec le couple de retraités charentais qui nous a plu. On a pioché dans toutes nos références pour nourrir le récit, du western aux récits anthropologiques. A l’origine, Samuel s’est même inspiré de la vie de certains de ses proches qui dans les années 70, se sont retrouvés à vivre sous des tipis en Ariège.

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Quels sont les matériaux documentaires que vous avez utilisés?

GUILLAUME TROUILLARD :  C’est dans Clafoutis et avec mon travail d’éditeur que j’ai commencé ma formation de faussaire, si je peux dire, en dessinant de fausses affiches, de fausses photographies et en reproduisant les textures. C’est devenu une passion. Ça m’a permis de développer une multitude d’outils pour servir le récit, en adoptant tous les styles. Dans ma façon de travailler, le style et le dessin s’adaptent au sens de l’histoire que je raconte. la Saison des flèches, est travaillé dans ce sens. Le dessin met naturellement en scène le récit.

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–  Dans cet album, « L’arbre né d’une flèche plantée », est le témoin croissant de l’expansion de l’appartement et semble être le fil conducteur de l’histoire. Quel est le sens de cette métaphore? 

GUILLAUME TROUILLARD : L’idée de l’arbre n’est pas apparue d’emblée. Il y a eu de nombreuses versions mais on a finalement choisi ce point de vue. C’est l’image de l’arbre refuge, une symbolique tirée de « La Fable du Colibri » : la forêt brûle et tous les animaux se réfugient au sommet du plus haut des arbres. On voulait absolument retranscrire la course poursuite des deux retraités comme une épopée héroïque avec une fin comme dans un film! L’arbre permettait cet artifice final. D’un autre côté, avec ma sensibilité écologiste, je voulais aussi souligner et rendre compte de la prévoyance et du rapport à la nature des indiens. Quand la menace se fait sentir, la flèche plantée au milieu de l’appartement leur permet de faire évoluer l’univers autour d’eux et leur garantit une réserve de flèches pour l’avenir, un abri en germe pour se défendre et sauver leurs vies.

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– A l’occasion de la sortie de l’album, vous avez monté une exposition où les planches étaient suspendues aux branches d’un arbre. Allez-vous emmener cette installation à Angoulême? 

GUILLAUME TROUILLARD : Non, l’arbre est trop haut pour la Tour Marguerite de Valois de l’Hôtel de Ville. C’est une habitude aux Éditions de la Cerise de mettre en scène ainsi nos expositions. Pour le Festival, Samuel a confectionné un tipi de 3 m 50, sur lequel j’ai dessiné les fresques peintes sur les murs par les Indiens dans l’album. On aura également les conserves!

Entretien réalisé par Lucie Servin

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