Joe Sacco, le maître de la BD-reportage
Pierre Christin voit dans Joe Sacco l’artiste actuel le plus proche de lui dans sa manière de travailler. Le BD-reporter américain voyage depuis plus de vingt ans dans le monde entier pour réaliser ses reportages en bande dessinée qui ont fait sa réputation et l’ont consacré comme le maître de ce nouveau genre en plein essor. Après avoir dessiné la guerre en ex-Yougoslavie, publié en deux tomes deux grands reportages (pour lesquels il a reçu l’American Book Award en 1996) : Palestine : une nation occupée (1993) et Palestine : dans la bande de Gaza (1995) sur le conflit israélo-palestinien, il revenait quinze ans après à Gaza en interrogeant l’histoire dans Gaza 1956 (2009). Son dernier livre, Reportages, est un recueil de six enquêtes réalisées au Tribunal de la Haye, en Palestine, en Irak, au Caucase, en Inde, à Malte depuis 1998 agrémentées de quelques notes de lectures. Sous forme de commentaires, le journaliste explique son rapport aux différents médias pour lesquels il a travaillé, décrivant ses méthodes, ses enthousiasmes et ses frustrations. Au cœur d’un questionnement autocritique, ce manifeste journalistique expose sa propre conception de la BD reportage en reprenant pour lui la phrase de Robert Fisk “Je dis toujours que les reporters devraient être neutres et impartiaux, du côté de ceux qui souffrent”. Joe Sacco a fait des émules mais ne prétend pas faire école affirmant qu’il y a autant de manière de faire de la BD-reportage que de BD-reporters. Aux principes figés d’équilibre et d’objectivité qui définissent d’ordinaire le travail journalistique, il expose ses méthodes, montrant l’exigence de la précision graphique et de la recherche documentaire dans ses reportages. En définissant la rigueur journalistique par le décryptage, la confrontation et la vérification systématique des sources, il s’impose un regard autocritique permanent et sincère avec son propre jugement et son expérience. Sacco met en scène sa subjectivité, observe, écrit et dessine dans une réalité à laquelle, déontologiquement, il reste fidèle. Le dessinateur incarne ce potentiel de puissance de la BD à informer du fond, ajoutant avec sa sensibilité, les expressions et les sentiments d’une humanité qui vibrent sous ses traits. L’humilité et la modestie est souvent le signe du talent : Joe Sacco qu’il le veuille ou non livre ici une magnifique leçon de journalisme.
Lucie Servin
Reportages, Joe Sacco, Futuropolis, 200 pages, 25,4 €
Sorti le 4 novembre 2011