Le Far West en conserve pour 19 euros seulement
Quand le rêve américain devient réalité… grâce à la Mulligan’s Tradition Inc. et à un procédé inédit permettant la mise en boîte des Indiens d’Amérique. Soit une métaphore prise au pied de la lettre qui donne vie à une fable violente transpercée des flèches de l’humour noir et de la poésie de l’aquarelle. Cette idée farfelue a germé dans l’esprit malin de Samuel Stento, esthète de l’écriture, pour prendre vie sous le trait du peintre dessinateur Guillaume Trouillard, son alter ego.
On nage en plein délire. Entre réalité et fantasmes du monde moderne, la narration à tiroirs tisse joyeusement les fragments incohérents d’anecdotes surréalistes, imbriquées dans une logique absurde et signifiante. L’histoire, taillée dans les mises en abyme graphiques et les jeux de miroirs, joue sur le décalage entre un couple de paisibles retraités charentais, bienveillants et bien-pensants, amenés à cohabiter avec une famille de Peaux-Rouges. Sioux, Comanche, Apaches ou Albanais, on ne sait pas très bien l’identité de ces Indiens en conserve.
Quand on ouvre la boîte, la famille sort au grand complet avec tout l’attirail qui sert à évoquer son univers. Les bisons traversent le salon. Les chercheurs d’or attaquent à la dynamite les canalisations de l’évier de la cuisine. Le récit s’adapte naturellement aux artifices de la narration. Sous la forme d’un journal de bord, on suit la transformation du salon en plaine du Wyoming, en parcourant des kilomètres d’une planche à l’autre. «L’appartement subit une telle expansion.» On établit une carte du pays, il faut trois jours de marche pour se brosser les dents. Les images défilent, déroulant l’épopée héroïque d’un western actuel, où les Indiens continuent de courir pour échapper à l’avis d’expulsion et aux services de l’immigration qui traquent les sans-papiers. Des cow-boys en costard.
Au cœur d’un travail sur l’imaginaire et sur l’origine des idées reçues dans l’inconscient collectif, la Saison des flèches offre une critique intime de l’ethnocentrisme occidental, et une satire très actuelle sur la fausse naïveté et la complaisance. Le mélange cynique des images heurte avec violence les préjugés. Le décalage historico-anthropologique se nourrit des clins d’œil, des contrastes et des références portés par un trait puissant et spontané qui joue sans tricher avec la matière. Laissant libre cours à l’imagination et au pinceau, les bulles se font plus rares, le dessin investit l’espace et les sens. Une audace poétique inspire avec une fausse douceur une argumentation implacable. La narration se rattrape aux branches de «l’arbre né de la flèche plantée». Un arbre refuge pour ce western d’intérieur, où la parodie sublime au tragique l’histoire du massacre des Indiens d’Amérique.
Lucie Servin
à lire : Entretien de Guillaume Trouillard
- Le mot de l’éditeur : La saison des Flèches, de Samuel Stento et Guillaume Trouillard, Editions de la Cerise, 86 pages, 19 euros
->Un article publié le 26 janvier 2010, dans le journal L’humanité
Erratum : Sur la version du journal papier, Samuel Stento est nommé Guillaume.
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