Les Scottsboro Boys, une affaire de justice
C’est en fouillant dans le fonds donné par la famille de Joseph North, un journaliste communiste de l’époque, que Andrew H. Lee, en charge de la bibliothèque de l’université de New York, découvre tout récemment ce recueil de 118 linogravures réalisées à Seattle en 1935, une maquette vraisemblablement destinée à l’édition d’une brochure pour la défense des Scottsboro Boys. Oubliée en France, l’affaire est restée un symbole aux États-Unis. Elle inspira notamment Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur à Harper Lee et La Putain respectueuse à Jean-Paul Sartre.
Procès expéditif et jury blanc
1931. Neuf jeunes garçons noirs sont arrêtés dans un train de marchandises à Scottsboro, Alabama. Ils sont accusés d’avoir violé deux femmes blanches qui se trouvaient à bord du même convoi. Un procès expéditif, avec un jury composé exclusivement de Blancs, condamne huit d’entre eux à la peine capitale, le plus jeune évitant la sentence d’une seule voix. Il a treize ans. L’aîné a dix-neuf ans. Ils partaient tous chercher du travail, ne se connaissaient pas, et ne se trouvaient même pas dans les mêmes wagons. Le mouvement d’opinion suscité autour du procès et porté par l’International Labor Defense (ILD), la branche américaine du Secours rouge international, a constitué une étape importante dans la contestation du système ségrégationniste américain.
Au départ, l’histoire de cette injustice est malheureusement banale. Dans la région, malgré l’abolition de l’esclavage, le lynchage reste monnaie courante. Le Ku Klux Klan est une formation légale qui compte près de 5 millions de membres. Un Noir sur deux qui se fait tuer par un Blanc, est abattu par la police. L’issue du procès des 9 de Scottsboro, dans ce contexte, était tragiquement inéluctable. Seule la mobilisation de l’ILD rejoint par les organisations pour la défense des droits civiques des Noirs, permettra une série de procès au retentissement mondial. Créée en 1926 par le Parti communiste américain pour défendre « les prisonniers de la guerre des classes », l’ILD s’était déjà illustrée pour la défense des anarchistes Sacco et Vanzetti, exécutés en 1927. La campagne lancée pour l’affaire de Scottsboro se situe néanmoins sur un nouveau terrain. Pour la première fois, la défense des accusés fédère les travailleurs noirs et blancs contre l’injustice raciale et rend possible l’alliance des associations pour la protection des droits civiques et les militants d’extrême gauche à travers des rassemblements multiraciaux.
La continuité entre esclavage et capitalisme
En 1935, le procès n’a pas encore abouti, lorsque Lin Shi Khan et Tony Perez réalisent cette brochure pour l’ILD. On ne sait rien de ces auteurs sinon que le premier vivait et militait à San Francisco. Divisé en trois parties, et intitulé, Scottsboro Alabama, de l’esclavage à la révolution, le récit graphique se compose de vignettes et de légendes sises dans des cartouches isolés. La concentration symbolique et stylisée des images vise à démontrer la continuité entre l’exploitation par l’esclavage et le système inique du salariat capitaliste, réunissant le travailleur noir et blanc dans la même guerre de classes pour la révolution finale. L’expressivité des images, l’immédiateté du message, l’indignation qu’il suscite ont valeur d’affiche, et justifient l’intérêt artistique de cette publication. Mais on doit surtout aux éditeurs américain et français et à Franck Veyron, le traducteur, des articles en introduction et en conclusion qui donnent les clés et dressent un bilan complet de l’affaire. Car ces linogravures exceptionnelles constituent surtout un témoignage de la campagne mise en place par l’ILD pour la défense des Scottsboro Boys, lisible à travers l’imagerie communiste, la faucille et le marteau, les poings levés, jusqu’à la conclusion empruntée à Trotski, qui prévoit la « précipitation des parasites dans les poubelles de l’histoire ». Cette enquête dédiée à la mémoire de cette cause oubliée initie ainsi une réflexion plus large sur les « causes célèbres » et leur rôle dans la prise de conscience internationale, en interrogeant les mécanismes des luttes dans l’histoire. Une enquête captivante, un document historique inédit et un livre d’art.
Lucie Servin ( article publié le 6 janvier dans l’humanité)
Scottsboro, Alabama. De l’esclavage à la révolution, par Lin Shi Khan et Tony Perez. Édition l’Echappée, 192 pages, 20 euros
La loi de Lynch donne naissance au mot « lynchage ». Charles Lynch (1736-1796), juge de paix, « patriote » de l’État de Virginie, instaura des procès expéditifs menant souvent à des exécutions sommaires. La « loi de Lynch » se répandit dans les territoires de l’Ouest américain et donna ensuite naissance au mot « lynchage ». La plupart auront lieu aussi bien dans le Sud des États-Unis, qu’en Nouvelle-Angleterre où, en dépit des lois qui les protégeaient, des Noirs furent poursuivis par des Comités de vigilance. Des organisations qui influenceront directement le Ku Klux Klan.