Les transformations de l’East End londonien
La construction du parc olympique s’inscrit dans une vaste politique de restructuration de l’East End londonien, qui regroupe les quartiers les plus défavorisés de la capitaledepuis le XIX siècle. Visite guidée et historique.
Les touristes s’amassent d’ordinaire dans le West End pour contempler les principaux monuments répertoriés dans les guides de voyage. A la fin du XIXe siècle, l’expression péjorative “East End” sert à désigner les quartiers situés dans l’est de Londres au nord de la Tamise. Regroupant à l’origine les villages rassemblés autour des murs de la vieille cité, la révolution industrielle, avec l’aménagement des docks et l’arrivée des chemins de fer, bouleverse radicalement la donne, attirant une foule de migrants à la recherche de travail. A l’image de l’Empire britannique, Londres devient la plus grande ville du monde passant d’un million d’habitants en 1800 à 4,5 millions à la fin du siècle. Les huguenots du XVIIe siècle laissent la place aux Irlandais et aux Juifs ashkénazes qui fuient les persécutions.
Témoins de cette transformation rapide, la plupart des bâtiments les plus célèbres ont été construits pendant le règne de la reine Victoria (1837-1901), comme la gare de Waterloo (1848), les docks Royal Victoria (1855), Big Ben (1859), le métro (1863) ou encore, Tower Bridge, commencé en 1886 et inauguré en 1897. Ces bouleversements radicaux modifient profondément la cité qui pousse au paroxysme les contrastes entre l’enrichissement de certains quartiers et la multiplication des taudis et des bidonvilles qui se concentrent autour des quartiers de l’East End. Ville miroir d’une époque d’excès, “ville monstre” ou “reine des cités”, prise en étau entre les progrès de la science et de l’entassement irrationnel de la misère et la persistance des archaïsmes, Londres, confrontée à une croissance démographique exponentielle, devient le théâtre sanglant en 1888 de la série de meurtres de Jack l’éventreur.
Dans l’histoire criminelle, peu de meurtriers ont autant déclenché les passions et marqué les esprits, servant une littérature abondante au point de créer une spécialité, “la ripperologie” qui continue jusqu’à aujourd’hui à alimenter les plus vaines spéculations sur l’assassin de White Chapel. C’est qu’au-delà de la barbarie de ces meurtres de femmes, mutilées par un plaisir sadique, Jack l’éventreur a braqué les projecteurs sur les quartiers londoniens les plus déshérités en mettant le doigt sur les problématiques de la misère. L’incapacité de la police pour résoudre l’affaire entraine aussi les premières mesures d’éclairage public et la prise en considération des problèmes de sécurité dans la métropole.
From Hell
Dans From Hell, publié en anglais entre 1991 et 1996, le chef d’œuvre d’Alan Moore et Eddie Campbell, les auteurs se sont livrés à une reconstruction méthodique de la capitale londonienne en prenant pour cadre les meurtres de Jack l’éventreur.
Au-delà d’une enquête policière, qui reprend la thèse de la conspiration royale et maçonnique impliquant le chirurgien de la reine, le docteur William Gull et qui s’inspire dans les grandes lignes de l’ouvrage de Stephen Knight, Jack l’éventreur, La solution définitive, les auteurs ont su compiler un portrait documenté et réaliste de Londres, mettant en perspective à la fois les exubérances d’une société aristocratique en quête de liberté et de renouveau artistique, mais aussi le développement d’une pensée socialiste et d’une profonde remise en cause des cruautés du système capitaliste. Le radicalisme de l’East End contribue à la formation du parti travailliste et aux revendications en faveur de l’émancipation des femmes. Les horreurs perpétrées dans les hôpitaux ou les asiles de Guy’s Hospital ou de Bedlam, la dure réalité des “workhouses”, ces sortes de foyers de travailleurs où s’entassent tous ceux qui n’ont pas les moyens témoignent d’une misère dépeinte sans exagération par le célèbre écrivain Charles Dickens, dont l’Angleterre célèbre cette année le bicentenaire de la naissance. Qui mieux que Jack London a décrit ces quartiers lorsque, fraichement débarqué de son Amérique natale, l’écrivain décide d’y habiter lui-même pour témoigner de l’intérieur de l’indigence extrême. Son livre Le peuple d’en bas, écrit en 1902, reste un des témoignages les plus poignants et un pamphlet efficace qui dénonce cet enfer.
La Londres maçonnique
Dans le chapitre 4 de From Hell, Alan Moore propose une visite guidée, révélant la signification maçonnique et occulte des constructions londoniennes. “Londres, cette cité de l’enfer hantée par les cris des rues de ses damnés”, hommage à William Blake, les auteurs de From Hell excellent à mettre en scène cette cité de paradoxes. Alors que le présumé assassin développe un discours hermétique sur la dualité de la ville en prise entre les forces masculines solaires et la résistance féminine et lunaire qui se traduirait dans l’architecture, ce chapitre parfaitement documenté s’appuie sur des faits avérés, mais méconnus de l’histoire de la construction de la ville. Le pentacle, que trace sur la carte le médecin franc-maçon, suit les alignements dessinés par un des grands architecte de la ville Nicolas Hawkmoor, disciple du célèbre Christopher Wren, chargé au XVIIIe siècle de la reconstruction de la cité, dévastée par le grand incendie de 1666. Londres sert de berceau à la franc-maçonnerie et il n’y a aucun doute sur les influences ésotériques et maçonnique de Nicolas Hawkmoore qu’on a surnommé ensuite “l’architecte du diable” et dont les symboles contenus dans certains bâtiments restent encore obscurs.
L’East End d’aujourd’hui
Dés le début du XXe siècle, le conseil du Comté de Londres cherche des solutions pour améliorer les conditions de vie de ces quartiers de misère, synonyme de mendicité, de prostitution et de maladie. Les bombardements allemands de la Seconde Guerre mondiale dévastent l’East End, visant les installations industrielles et stratégiques autour des docks, des voies ferrées et des usines. Une nouvelle vague de migrations pousse les plus pauvres vers de nouvelles banlieues. Avec la fermeture des docks en 1980 sont lancés les premiers projets de réaménagement autour de la London Docklands Development Corporation, avec la création du Canary Wharf. Elargi aux quartiers nord de l’ancien marécage de Stratford, l’East End est devenu un enjeu majeur pour la construction du parc olympique, engageant un chantier de 226 hectares, qui a conduit à l’amélioration des infrastructures et l’aménagement de pôles commerciaux attractifs, mais a aussi déterminé de nombreuses expropriations et expulsions. Affaire à suivre après les J.O., car devant la pression immobilière les questions de logement ne sauraient être balayés par le passage de la flamme olympique.
Lucie servin
De Scotland Yard à Sherlock Holmes
Théâtre de la modernité et de l’horreur, toute une littérature du crime se développe sur la scène londonienne d’Edgar Allan Poe à Sir Arthur Conan Doyle. Sherlock Holmes apparaît pour la première fois en 1887, un an avant les meurtres de Jack l’éventreur. Le plus célèbre des détectives devient une icône, au point de donner lieu à de nombreuses adaptations et réinterprétations au cinéma et en bande dessinée (1). La dernière série en date, Holmes de Cecil et Luc Brunschwig, dont le troisième tome vient de sortir aux éditions Futuropolis, est un petit chef d’œuvre du genre. En lançant le docteur Watson sur le mystère de la disparition de son ami aux chutes du Reichenbach en Suisse, les auteurs d’Holmes revisitent un mythe dans un dessin somptueux, en rappelant, selon un sondage de la BBC datant de la fin des années 50, qu’un britannique sur deux pensait que Sherlock Holmes avait véritablement existé. L’apologie de l’esprit de déduction et de logique du fameux enquêteur témoigne également du développement de la police au XIXe siècle et de la mise en place de Scotland Yard, créé en 1829, dont l’inefficacité est souvent mise en cause, mais qui révèle une nouvelle approche dans le traitement et la rationalisation des affaires criminelles. La collection 1800 chez Soleil se nourrit toute entière de l’atmosphère noire du Londres victorien. Dernier en date et premier tome d’un dytique particulièrement réussi, Scotland Yard, au cœur des ténèbres, de Dobbs et Stéphane Perger, nous emmène avec l’inspecteur Gregson au cœur de ce système nourri par un dessin en couleur directe dramatique et efficace dans un récit qui s’amuse à jongler entre personnages célèbres rééls et fictifs.
(1) Philippe Tomblaine, Sherlock Holmes dans la bande dessinée, enquête dans le 9e art, L’àpart, 219 pages, 25 euros.
- Scotland yard, tome 1, au Cœur des ténèbres, Dobbs & Stéphane perger, Soleil, 48 pages, 13,95 euros
- Holmes, 3 tomes, Luc Brunschwig & Cécil, Futuropolis, 64 pages, 13,50 euros
Une statue centenaire
Peter Pan, l’éternel enfant, imaginé par l’écrivain et dramaturge écossais James Matthew Barrie porte avec lui l’âme de Londres. Les aventures sans cesse renouvelées du pays de l’imaginaire se jouent et se rejouent autour de Peter, l’enfant “joyeux, innocent et sans cœur”, qui incarne la liberté de l’imagination : l’éternel lutin fripon, espiègle et joueur. Il y a tout juste cent ans, la statue en bronze de cette icône était érigée du vivant de son créateur par George Frampton, dans Kensington Park, où Barrie lui-même aimait se promener. Aujourd’hui encore, on raconte que lui toucher le gros orteil exauce les vœux. En bande dessinée, la réinterprétation magistrale du mythe dans la saga de Régis Loisel est désormais incontournable. Le premier tome de cette série, intitulé Londres, prend pour décor les quartiers pauvres de la capitale à la fin du XIXe siècle. Lors de l’hiver 1887, Peter traine en haillons comme ces milliers de pauvres qui errent dans la ville. Petit enfant perdu, il cherche à échapper à sa mère alcoolique en racontant des histoires réconfortantes aux autres orphelins du quartier. Une adaptation réaliste et sombre qui démontre avec force le pouvoir impérieux d’évasion de l’imaginaire en dénonçant la cruauté́ de la réalité́. Les éditions Vents d’Ouest préparent pour la fin de l’année une réédition des six tomes de la série de Régis Loisel, parus à l’origine entre 1990 et 2004, sous de nouvelles couvertures.
Peter Pan, tome 1, Londres, Régis loisel, Vents d’Ouest, 64 pages, 13,90 euros