Nous les assassins !
« L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement, l’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir. » écrivait Victor Hugo.
De l’art de la sublimation. Récompensé par l’ACBD (Association des critiques de bandes dessinées), Moi, assassin résout l’énigme en couverture. Ce thriller philosophique pose la question de l’universalité du Mal, en revendiquant l’esthétique de Thomas de Quincey dans De l’Assassinat comme un des beaux arts. Après l’Art de voler, sur le suicide de son père, c’est avec la même lucidité tragique qu’Antonio Altarriba interroge encore une fois la cruauté du réel. Cette transposition à la première personne glisse l’auteur dans la peau du meurtrier, dessiné sous ses propres traits. Le graphisme de Keko en noir et blanc, éclaboussé de rouge, tout en contrastes, en texture et en cadrage, repeint une fresque dédiée à l’art moderne depuis Goya, Munch, Bacon jusque dans l’art contemporain.
L’art comme la BD est exagération, transgression, il puise au cœur du mal pour dénoncer, terrifier, rendre compte de pulsions. Accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis, le tueur en série se défend par le sublime. Une plaidoirie a priori absurde qui met en perspective le meurtre gratuit, mais qui retourne la problématique, comme en psychanalyse, en impliquant la complicité du lecteur, et en reprenant l’idée que nous sommes tous des assassins en puissance.
Lucie Servin