Bienvenue à Macadam Valley
Laissez-vous guider pour une petite visite de la capitale de l’absurde et de l’humour noir. Sur la toile, Ben Dessy a su construire peu à peu les contours de cette métropole virtuelle sur son blog de Macadam Valley : des strips et des gags qui exercent un pouvoir d’attraction irrésistible sur les zigomatiques.
Capitale de l’absurde et de l’humour noir, Macadam Valleyattire toujours plus d’internautes, fascinés par les strips cyniques et efficaces de Ben Dessy, un jeune dessinateur belge de 26 ans qui a su se faire remarquer sur la toile. Ben a grandi à Bruxelles à la fin des années 1980 et au début des années 1990, biberonné par les dessins animés et la bande dessinée d’humour qui le décident à se lancer dans une carrière de dessinateur. “Mes premières BD mettaient en scène des personnages à gros nez, influencés par le style franco-belge et directement inspirés des « héros » de la télévision de l’époque (comme James Bond et Maîté, pour ne citer qu’eux)”,explique-til. Et de fait, sur son blog, le détournement d’icônes ou de figures inspirées de personnages réels ou fictifs constitue un des principaux ressorts comiques pour esquisser les silhouettes des habitants de Macadam Valley. Une ville miroir, administrée par l’absurde, qui charrie des adeptes toujours plus nombreux.
L’art du strip et de la chute
Passionné par la bande dessinée, Ben Dessy rentre à l‘ERG (Ecole de Recherche Graphique de Bruxelles) à 17 ans. Il s’initie ainsi à la vidéo, à l’illustration et au cinéma d’animation et élabore son style graphique autour d’un art de la narration qui va droit à l’essentiel. Pourtant dégouté par une quatrième année particulièrement difficile, le jeune artiste se reconvertit dans un diplôme de webmaster et abandonne le dessin pour près de trois ans. Si dans sa période d’apprentissage, le dessinateur avait déjà exprimé son goût pour les gags à chute et les jeux narratifs qui permettent par exemple de raconter des histoires à double sens, en amenant le lecteur à relire une même histoire avec des niveaux de lecture différents et superposés, il se remet à la bande dessinée, en dessinant des strips pour son blog Macadam Valley qu’il ouvre en janvier 2012. “Le format court du strip m’a semblé un intermédiaire idéal pour revenir au dessin, et le support blog le moyen le plus simple pour diffuser mes travaux.” affirme-t-il en poursuivant “J’aime exploiter le neuvième art pour ce qu’il a d’unique, et le strip fait partie de ces singularités car seule la bande dessinée peut rendre toute la spontanéité du propos et de la chute.”
En noir et blanc, dans un trait simple et épuré, Ben Dessy parvient toujours en quelques cases à surprendre ses lecteurs. Le dessinateur met un point d’honneur à soigner les effets de surprise qui sont pour lui “les clefs de l’humour”. Sur son blog, il forge ainsi une méthode qui répond à deux règles d’or : le fond domine sur la forme et la narration doit aller droit au but. Il précise : “Dans un format aussi court que le strip, c’est l’idée qui domine. Le dessin, le découpage, l’attention portée aux expressions, aux décors sont au service de l’idée et dés lors, tout ce qui ne sert pas directement la chute doit être volontairement mis de côté. ”
L’idée est donc le point central de ces historiettes. L’artiste les note systématiquement dans ses carnets : “Une bonne idée peut me tomber dessus comme ça, sans prévenir, ou être le fruit d’un accouchement plus douloureux. Il n’y a pas d’automatisme, c’est ce qui rend l’avenir dans le métier à la fois stimulant et incertain.” Et il ajoute “Mon carnet de notes est comme un slip pour moi, je sors rarement sans et je commence à en avoir une sacrée collection.” Une compilation de futurs gags nés d’associations d’idées et de détournements de situations en tous genres, autant d’images et de clichés connus de tous.
Macadam Valley, capitale de l’humour noir
A Macadam Valley, les habitants sont aussi originaux que normaux, nourris par les archétypes qui distribuent les rôles de chacun dans la société : parents et enfants, Couples mariés et adultères, shérifs et voleurs, prostituées et clients, charlatans et nigauds, docteurs et savants fous, chacun y a sa place. Sur des oppositions simples comme le suggère le titre même de la cité, l’auteur use de tous les ressorts de l’humour tout en s’inspirant des stéréotypes qui régissent les codes des rapports sociaux.
Il explique avoir été très influencé par les Simpsons dont il est fan depuis l’enfance, au point de pouvoir réciter certains épisodes entiers. “J’aime Springfield, cette espèce de société miroir dans laquelle toutes les classes sociales sont à peu près représentées. C’est un peu l’idée vers laquelle j’aimerais tendre avec Macadam Valley, créer une ville cohérente avec des personnages récurrents.” Avec cet esprit universellement moqueur, l’auteur reprend des références connues de tous pour mieux les détourner, de Star Wars à Bambi en passant par Indiana Jones et Winnie l’ourson.
Son trait qui va à l’essentiel s’inspire de tous les grands noms du dessin d’humour. Il souligne ainsi son admiration pour “l’art subtil de Glen Baxter, le sens de la poésie de Sempé, l’humour noir de Charles Addams, le génie absurde de Gary Larson. Ensuite, dans un tout autre registre, j’aime aussi Mel Gilden qui reste inégalé en matière de psychologie des personnages. ” Il confesse qu’il est en réalité impossible de lister toutes ses influences. “Par exemple, j’aime Manu Larcenet, mais mon travail n’est pas comparable, Carl Barks m’a quant à lui beaucoup influencé pour dessiner les décors d’intérieurs (armoires, lits, encadrements de porte) mais pour moi le décor doit se résumer à l’essentiel pour ne jamais parasiter le propos. Bill Watterson, pour ne citer que lui, est passé maître dans l’art de suggérer un paysage entier avec un seul élément de décors. Je réduis les décors et les expressions des visages au minimum.”
En dehors de ces influences graphiques, Ben Dessy est un infatigable curieux qui s’inspire de tout sans tabou, car pour lui “Tout est sujet à rire” et l’imagination ne connaît aucune borne. “L’humour se cultive. Il faut sortir, voir des navets, lire de tout, se confronter à d’autres types d’humours, fréquenter des gens plus drôles que soi. On distingue à tort l’humour noir et l’absurde, alors qu’en fait l’humour noir est de l’humour absurde. La mort et les travers humains sont les thèmes centraux mais pour pouvoir en rire on passe obligatoirement par la dérision. J’ai eu la chance de grandir dans un environnement où le rire et le sens de la repartie font partie des bonnes manières. ” Si certains strips choquent ou soulèvent quelques critiques, le dessinateur se défend d’être cynique et insensible face à la détresse d’autrui, il s’agit toujours de mettre en avant l’absurdité d’autant de situations cruellement et quotidiennement banalisées.
De nouveaux projets
Surpris par le succès de Macadam Valley, Ben Dessy mesure combien Facebook a fortement contribué à faire de ce blog en à peine un an un incontournable de la blogosphère BD au point qu’il remporte le Golden Blog Awards en 2012. Il n’empêche que la qualité des gags a surtout garanti le drainage d’un public toujours plus grand, adhérent en masse à cet univers noir. Bien que virtuelle, Macadam Valley n’a rien d’une ville fantôme et s’impose en métropole dynamique comme en témoignent les nombreux messages de soutiens et d’encouragements que reçoit régulièrement le dessinateur.
Premier extension, Macadam Valley sera édité et un premier tome signé aux éditions Même pas mal est prévu pour le courant du mois juin. Ben Dessy regarde déjà vers l’avenir et prépare l’édition d’un second tome davantage axé sur le personnage du shérif McCoy avec des strips inédits qu’il conserve dans ses tiroirs. Il participe également à des projets collectifs comme le “ Projet 17 mai pour la lutte contre l’homophobie” initié par Silver et Pochep. Récemment, il a rejoint l’équipe de Mauvais esprit. En dehors de Macadam Valley, le jeune artiste ne cache pas son ambition d’explorer d’autres domaines, comme le dessin de presse ou des histoires plus longues en bande dessinée. “Je ne fais pas dans l’actualité, pour l’instant du moins. Le dessin de presse est un instantané, une image qui marche dans un contexte bien précis mais qui perdra toute sa force les jours, semaines, années qui suivront sa parution. C’est un exercice de style qui se périme mais cela m’attire énormément. ” a-t-il déclaré. Affaire à suivre car avec Ben Dessy, tout est possible. Il a su avec Macadam Valley imposer son style et livrer par ses gags absurdes des témoignages universels et intemporels dans une tonalité parfois cruelle mais toujours hilarante.
Lucie Servin
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