Eric Salch, Ma life, le blog qui tache
Eric Salch, c’est comme un pavé dans la mare, un cheveu sur la soupe, un doigt dans le nez, un bouton gonflé qui fait mal. Cette semaine, cap sur la racaille du web, une sale bête qui sévit sur la toile depuis 2008 et qu’on aime bien malgré lui et malgré nous, car son truc à lui c’est d’en mettre plein la gueule. Mais on rigole et on se bidonne franchement comme devant un édito de Gotlib ou une sale blague de Reiser ou de Vuillemin. Du Charlie Hebdo ou Hara Kiri premier cru, bête et méchant, cruel et vulgaire à souhait, gratuit et purement jouissif.
Mettre des grands coups de pied dans la blogosphère, insulter les lecteurs et au passage tous les gentils bloggeurs des bacs à sable, chez Salch tout le monde en prend pour son grade. Son blog, c’est son défouloir. “Je me rends compte avec le recul combien ce blog a été important pour moi dans ma vie”, explique-t-il. Le dessinateur, qui avait participé au magazine de BD hip-hop Streetlife Stories en 2002, a aussi réalisé un album papier en 2007 intitulé La Rage de vaincre avec Eldiablo (le scénariste de la série culte Lascars). Eric Salch a ouvert son blog sur les conseils d’un ami. Depuis quatre ans qu’il raconte sa « life », un premier album papier est sorti au printemps dernier : “A la base, je ne suis pas un geek d’internet et je passe très peu de temps à lire d’autres blogs BD”.
Fustigeant les petits travers de la vie ordinaire, des réseaux sociaux, l’addiction débilisante à Facebook et aux commentaires, le dessinateur reprend à son compte la formule “mon blog, ma vie”, épiçant de son regard cynique et arrogant une critique assez juste et acerbe du quotidien d’un banlieusard moyen. Volontairement provocateur et irrésistiblement drôle. Horripilant, désobligeant, crade et profondément désagréable. Qu’est-ce qui pousse le lecteur à venir se faire pourrir par un petit merdeux avec un nez pointu, un sourire de rat, des yeux globuleux et taquins? Un mec qui se la pète et qui ne lâcherait pas son sweat à capuche malgré les 40 degrés à l’ombre, et tout cela uniquement pour le style. Salch nous fait rire et son humour gras, ses blagues pipi-caca de la maternelle, ça fait du bien.
On lit une planche comme on regarde un petit sketch, suivant une narration sans case en mode freestyle, entrainé par son flot de vannes de lascar et sa grande gueule. Salch, c’est du hip-hop en bulles, avec la saveur des blagues ta mère. Surtout ça sonne vrai. “Je ne parle jamais de gens que je ne connais pas et, en général, je représente ceux qui sont importants à mes yeux”, commente-t-il. Qui aime bien châtie bien. Plus qu’une formule, un credo. Sa femme, ses enfants, son pote Marcel qui porte des chaussettes avec des birkenstoks, son chat troufignon, sa collègue de bureau et ses camarades du festiblog : tout y passe. Lui-même n’hésite pas à passer pour un gros con ou à se taper l’affiche en imitant ses copains rappeurs d’Expression direkt devant la glace. Sa franchise rappelle celle d’un Crumb ou d’un Joe Matt, une insolence de looser et un esprit tordu de mauvais garçon. Devant une vie de famille qui part en sucette, une laisse sentimentale et rétractable qui se relâche et la fin du petit bonheur pantouflard avec ses mioches et sa niche, Salch se lâche et exulte un stress quotidien : ces petites gouttes d’eau qui déclenchent une avalanche de crachas et d’insultes qu’il déverse sur ses planches dans le RER en allant et en revenant de son boulot.
Mais un Salch peut en cacher un autre et derrière son côté méchant et vénère, on découvrirait presque un artiste sensible, si peu sûr de lui parfois, un cœur en miettes face aux engueulades de sa vie de couple, un faux rebelle qui se fait des films sur sa voisine dans le métro et rêve de tenir tête au contrôleur. Salch, ses doutes et ses coups de gueule, dans l’intimité, a tout du personnage attachant. Un éternel branleur à qui on proposerait bien de fumer un bédo devant un film tout pourri ou une partie de PlayStation et à qui on cède tout, même les blagues les plus limites. Il se débat, invective comme un animal blessé, alors le lecteur pardonne, pire, devient complice, par empathie. C’est queMa life, plus qu’un blog, c’est une thérapie. Alors n’hésitez plus et venez consulter le docteur Salch. Un traitement de choc. Des gags en forme de suppositoire. Efficacité garantie.
Lucie Servin
-> Retrouvez une planche d’Eric Salch dans notre prochain numéro de BDSphère.
- Ma Life de Eric Salch, Indeez, 12,00 euros, un album disponible dans notre librairie
- Le blog de Eric Salch
- Le site de l’éditeur : Indeez
-> Un article publié sur BDSphère le 11 septembre 2012
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