Les réécritures de Vielsalem dans le Jardin d’Ardenne
Après les explorations urbanistiques de FranDisco, toujours sous le label Knock Outsider!, les artistes de la S-Grand atelier à Vielsalm en Belgique se sont alliés aux artistes du collectif Fremok pour composer un nouvel Evangile en s’inspirant des gravures de Gustave Doré. L’épiphanie graphique d’un hymne à la joie.
L’Evangile Doré de Jésus-Triste, aux éditions Frémok , Knock Outsider, 160 pages, 28 €
« Au commencement était la joie. Et la joie était en vie, et la vie était en joie ». En grand format, avec sur la couverture une descente de croix en noir et rouge, sous un titre aux lettrages dorés, l’élégance du bel ouvrage donne toute la solennité nécessaire pour aborder ce nouvel évangile inspiré dans la bonne humeur. Composés de 123 planches en linogravures transposées des gravures de Gustave Doré, les cinq livres (La Vocation, les Miracles, les Paroles, l’Allégresse et les Témoignages) racontent l’histoire de Jésus-Triste, la fille de Jeanne, qui naquit pour faire triompher la joie, après s’être transformée en homme, le jour où la barbe lui poussa.
Depuis 2007 les artistes du collectif Fremok se sont associés aux artistes porteurs de handicap mental de la « S »-Grand atelier à Vielsalm en Belgique pour monter des projets communs, qui ont donné naissance au label Knock Outsider!. Après l’album Match de catch à Vielsalm, une petite dizaine d’albums ont déjà été publiés, comme Vivre à FranDisco, de Marcel Schmitz et Thierry Van Hasselt l’an dernier. Cet évangile s’inscrit dans la même lignée, en répondant à l’ambition de travailler autour du thème de la religion dans le cadre du projet Avé Luia sur une idée d’Yvan Alagbé. Une ode à la générosité, affranchie du mythe chrétien qui prêche le bonheur d’être en vie et loue avec une ferveur sincère la révélation de l’encre sur le papier.
Au total, ce sont près de 50 artistes qui ont collaboré pour créer ces images auréolées par la force tragique du noir et blanc et des tableaux sacrés qui déclinent les thèmes si classiques dans l’Histoire de l’art occidental (L’annonciation, les rois mages, la fuite en Egypte, la passion…). De nombreux résidents de la S ont reçu une éducation catholique. On ne s’étonne pas de voir ressurgir au gré des pérégrinations de Jésus-Triste l’histoire de l’évêque représenté dans FranDisco la ville en expension de Marcel Schmitz tandis que la narration interpelle l’univers délirant d’un Dominique Théâte et sa femme à barbe bleue dans ses collaborations avec Dominique Goblet.
Si les styles varient d’une planche à l’autre, du figuratif à l’abstraction, le texte vient lier comme un chapelet les gravures expressionnistes disparates dans une logique fidèle aux écritures bibliques, elles aussi composées à partir d’histoires compilées. A la fin du livre une reproduction des images de Gustave Doré, avec le segment d’Evangile auquel elles correspondent permet de voir l’écart de la transposition. De quoi mesurer le décalage qui reflète l’esprit des ateliers.
Des échos graphiques se recréent dans cet ensemble surréaliste et drôle mais miraculeusement cohérent, au travers de la finesse de certains contours et de l’épaisseur d’autres traits, qui se métamorphosent en touches ou en à-plats évocateurs. Le symbolisme habite cet évangile apocryphe que l’humour guide sous des dehors naïfs pour mieux mettre à mal le culte du dieu rédempteur, sa repentance et sa culpabilité assorties. Les pêcheurs dans l’histoire ne sont d’ailleurs que ceux qui pêchent les poissons, les réfugiés, les migrants et les esclaves en fuite.
A ce jeu de contrastes et de concordances même l’encre noire se meut exceptionnellement en rouge pour figurer le sang du massacre des innocentes, un sang mêlé à celui des règles qui « crie vers l’Eternelle », et qui rappelle plus loin les flammes de la crucifixion avec leurs pendants noirs de larmes. Un petit miracle de créativité s’opère. Il féconde ce récit alternatif de la création tout aussi crédible et rocambolesque que l’original, avec son imagerie propre à accompagner l’exégèse et à célébrer le sacrifice de la douleur dans un grand feu de joie, entraîné par le concert d’une légion des alcooliques anonymes. Un catéchisme pour rire et oublier ce monde trop réel que le démon de la tristesse semble avoir avalé tout rond. Que le lecteur soit rassuré même Johnny en sort ressuscité. Vade retro tristanas !
Lucie Servin
Présentation sur le site de l’éditeur : le mot d’Yves Alagbé
L’exposition Knock Outsider Komiks est en ce moment présentée au Musée Art et Marges à Bruxelles du 29 septembre 2017 au 28 janvier 2018.