Maximilien Le Roy, dessinateur, interdit de séjour en Israël
À tout juste vingt-neuf ans, Maximilien Le Roy témoigne dans ses livres de trajectoires individuelles et historiques ancrées dans les problématiques sociales et politiques. Dessinateur et scénariste, toujours sur le terrain, il milite depuis 2008 pour la Palestine et réunit plusieurs collectifs de dessinateurs autour du conflit israélo-palestinien, Gaza un pavé dans la mer (2009) et Faire le mur (2010). Il publie en 2010, avec Soulman, les Chemins de traverse et, en 2013, avec Emmanuel Prost, Palestine, dans quel État ?, un carnet de route. Désormais interdit de séjour sur le territoire israélien, il revient sur les conditions de son expulsion et les répercussions sur son travail.
Dans quelles conditions avez-vous été interrogé ?
Maximilien Le Roy : J’avais été invité pour le premier festival de bande dessinée en territoire palestinien à l’occasion d’une exposition et d’un cycle de rencontres. Je m’étais déjà rendu quatre fois en Palestine et je connaissais ce type d’interrogatoires. De toute façon, nous arrivons en Israël en touriste et il est préférable de ne pas mentionner un séjour dans les territoires occupés, encore moins à Gaza même si nous sommes invités par un festival de BD. Contrairement à tous les pays du monde, il n’y a pas de demande de visa préalable pour Israël qui décide sur place de laisser passer ou non. Je faisais la queue pour faire tamponner mon passeport, on m’a emmené dans un bureau et l’interrogatoire a duré près de quatre heures et demie, entre l’attente et les questions à répétition les plus absurdes.
Comment s’est déroulé votre interrogatoire ?
Maximilien Le Roy : Ils savaient ce que j’écrivais et m’ont cité les titres de mes livres. Ils ont fouillé mes affaires, mon téléphone portable, en me questionnant sur les photographies des drapeaux du Parti communiste français et du Front de gauche, sur les noms arabes de mon répertoire, en me demandant pourquoi je portais la barbe. Ils m’ont posé dix fois les mêmes questions sur tous les tons, et en dernier, un représentant du ministère de l’Intérieur s’est montré très agressif. Ils m’ont expliqué, pour conclure, que si je pouvais critiquer Israël dans mon pays, je n’aurais plus le droit de le faire sur leur territoire. Je savais dès les premières minutes qu’ils allaient m’expulser, mais je ne m’attendais pas à une interdiction de séjour de dix ans. Ils m’ont traité comme si j’étais un terroriste.
Pouvez-vous définir votre engagement ?
Maximilien Le Roy : J’ai commencé à étudier le conflit israélo-palestinien dans les livres, car je voulais savoir pourquoi le sujet était aussi clivant et cristallisait des attaques contre des intellectuels comme Edgar Morin ou Daniel Mermet. J’ai donc décidé d’aller voir sur place au camp de réfugiés d’Aïda où j’ai noué des contacts. Je suis foncièrement athée et je ne défends ni un État juif ni un État musulman. Dans mes livres, j’ai toujours fait en sorte de donner la parole à des Israéliens et à des Palestiniens, même si parmi les Israéliens, j’interroge des activistes militants pour la cause palestinienne qui ne représentent pas la majorité de l’opinion israélienne. Avec le besoin de comprendre, j’explore la possibilité du vivre-ensemble, le taayoush, en arabe, du nom d’un mouvement judéo-arabe né en 2000 ayant pour vocation de réunir les deux peuples. Les Français contre la guerre d’Algérie ou les Américains contre la guerre du Viêt Nam ont toujours paru, en leur temps, comme des traîtres à la patrie. Aujourd’hui, Matan Cohen, objecteur de conscience, engagé au sein du mouvement Les Anarchistes contre le mur, ou Michel Warschawski, un militant pacifiste, sont des personnalités dissidentes qui vont au contact des Palestiniens et leur rendent une humanité contrairement de la propagande officielle. Cette démarche est universelle.
Comment comptez-vous poursuivre votre travail sur la Palestine ?
Maximilien Le Roy: C’est bien là le problème. Les Israéliens verrouillent tous les passages vers le territoire palestinien, y compris par la Jordanie, et il est bien entendu impossible de passer par les tunnels égyptiens vers Gaza. Je ne peux donc plus me rendre en Palestine. J’ai eu l’occasion d’aller en Algérie, en Chine, au Viêt Nam, en Russie sans être inquiété. Comment un régime qui se targue d’être la plus grande démocratie du Moyen-Orient peut-il interdire le passage sur son territoire sous prétexte d’écrits ? Comment peut-on apparaître comme un fanatique en critiquant simplement la politique d’Israël ? Je n’ai jamais prôné ou fait l’apologie du terrorisme. Criminaliser la parole et la pensée est un vrai danger pour toutes les démocraties. Pour ma part, je me tourne vers d’autres sujets et, en ce moment, je travaille sur une biographie de Carmen Castillo et sur la dictature de Pinochet au Chili. Je fais de la bande dessinée politique, j’aime donner à voir d’autres regards, à contre-champ, et je continuerai ainsi.
Entretien réalisé par Lucie Servin, paru dans le journal L’humanité du 28 Octobre 2014